Clairement, cet ouvrage est à la fois un classique et un incontournable pour quiconque s’intéresse aux « conflits asymétriques » et aux « guerres révolutionnaires ».
Même s’il date de 1965, ce War of the Flea (traduit « Guerre de la Puce » en 1969 chez Juliard) est parfaitement pertinent de nos jours. Si son contexte de rédaction est celui de la « guerre froide » et des guerres de décolonisation, Robert Taber sait capter l’essence des conflits qu’il évoque pour en tirer une analyse synthétique riche et particulièrement intéressante. Les conclusions qu’il en tire, ainsi que les extrapolations auxquelles il se livre sur leur base, se sont révélées être les bonnes: l’avenir lui a donné raison.
Au long des 11 chapitres qui constituent ce livre, Taber aborde la guerre civile chinoise et la révolution maoiste, le conflit décolonial en Indochine et en Algérie, la révolution cubaine, la révolte irlandaise des années 1920, le soulèvement chypriote contre l’occupation anglaise, la rébellion malaise, l’insurrection philippine, et évoque d’autres mouvements. Il analyse leurs forces, leurs succès, mais aussi leurs limites et leurs échecs, comme lorsqu’il explique parfaitement pourquoi la révolution communiste en Grèce a échoué après guerre. Si Taber n’évoque pas les diverses tentatives révolutionnaires de l’immédiate après-première guerre mondiale en Allemagne, qui aurait pu être extrêmement intéressant à confronter à ses théories, il n’en reste pas moins que ce travail est très complet pour son époque et montre les divers cas de figure des mouvements de résistance/rébellion/révolution qui ont marqué leur temps au cours du 20e siècle (jusqu’en 1965, donc: la guerre au Vietnam commençait à peine).
Le chapitre 10 est une sorte de résumé des grands principes auxquels les mouvements de guérilla doivent se soumettre si ils veulent réussir, et quels sont les écueils qu’ils doivent éviter. En somme, c’est un résumé des enseignements que l’on peut tirer des divers exemples abordés dans ce livre. Le chapitre 11 est une extrapolation et un plaidoyer pour les Etats-Unis de s’occuper de l’Amérique du Sud plutôt que de l’Asie, et là dessus, clairement les années 1970 et 1980 ont démontré à quel point il a été entendu.
Globalement, c’est un livre excellent. Ses principes, bien que tirés de conflits engendrés par des factions communistes, peuvent s’appliquer à d’autres conflits, notamment liés à l’islamisme en Afrique ou au Moyen-Orient. Ce n’est pas la nature idéologique de l’opposition « révolutionnaire » (ou en tout cas contestataire) qui compte, mais bien le fait qu’il s’agisse d’une force d’opposition armée et asymétrique.
Surtout, Taber fait bien la différence entre le terrorisme et la guérilla, en basant le critère de distinction sur la nature de la cible visée: s’il s’agit de civils, c’est du terrorisme, s’il s’agit d’officiels ou de symboles du gouvernement, c’est une guérilla. Et ça change tout dans une lutte avant tout politique: là où la guérilla doit se concilier impérativement le soutien populaire pour survivre et ne peut donc pas se permettre de frapper des civils innocents, le terrorisme apparaît comme une violence sociopathique qui ne peut que dresser l’ensemble d’une société contre ceux qui y recourent. Voilà qui prolonge pas mal de réflexions sur les « attaques sous faux drapeau »… et interroge sur les manipulations de masse par la violence.
Un livre excellent, qui ne se lit pas d’une traite mais doit au contraire être lu au calme en prenant son temps pour en tirer tous les enseignements. Dommage qu’il ne soit plus traduit en français, et que son influence sur les états-majors contemporains soit inexistante. Il y a beaucoup, beaucoup à redécouvrir ici, et il y a très probablement de quoi questionner sérieusement Gallula et ses continuateurs.