Ce 24 août 2016 marque l’anniversaire des Massacres de la Saint Barthélémy de 1572, au cours desquels 10 à 30 000 protestants furent assassinés à Paris et en Province, pour le seul fait de leur religion. Cet anniversaire, dans le contexte actuel d’omniprésence du terrorisme islamiste et des intégrismes religieux, prend une dimension très particulière.
Le 16e siècle en France est une période franchement compliquée, mais dont l’étude est vraiment intéressante, car elle rappelle certains événements actuels. Comme ce n’est pas vraiment la période la plus étudiée dans les établissements scolaires, laissez-moi vous faire un petit résumé…
Tout commence au 15e siècle, lorsqu’un obscur ecclésiastique allemand conteste les dérives de l’Eglise catholique qui vit dans une opulence d’autant plus scandaleuse que ses membres se préoccupent plus de politique que de Foi. On est en pleine chasse aux sorcières menée par l’Inquisition (le Malleus Maleficarum ou Der HexenHammer en allemand, ou Marteau des Sorcières a paru en 1487), qui frappe très durement les contrées germaniques, et des gens innocents sont envoyés au bûcher par des évêques qui s’approprient leurs biens au passage. Martin Luther, en placardant sur la porte de son église un manifeste contre une nouvelle opération financière de la papauté (la vente d’indulgences), amorce sans le vouloir un mouvement qui deviendra une religion à part entière, le Protestantisme. En un demi-siècle, la Réforme s’étend à tout le Saint Empire Germanique, en Suisse, aux Pays-Bas, en Angleterre, et bien sûr en France. Il s’agit autant d’un mouvement religieux que politique, les deux domaines étant intrinsèquement liés à l’époque. Or, la Réforme rejette l’autorité du Pape, dont l’Eglise s’immisce en permanence dans les affaires temporelles des royaumes chrétiens.
En France, l’affaire met aux prises les deux camps par l’intermédiaire de l’Amiral de Coligny, chef de file du parti protestant, et du Duc de Guise, chef du parti catholique. Ce dernier est l’un des plus proches conseillers du Roi Henri II qui meurt en 1559 (de la manière que Michel de Nostre-Dame avait prédit…). Son fils, François II, qui n’est âgé que de 15 ans, confie les rênes du pouvoir à la famille des Guise. François II meurt à son tour quelques mois plus tard, et c’est Charles IX qui monte sur le trône, à 10 ans à peine, en 1560.
L’influence des Guise sur le Gouvernement est énorme, malgré la régence de Catherine de Médicis qui essaie tant bien que mal d’atténuer leur pouvoir en favorisant le parti royal. Les Guise sont si puissants que le parti protestant essaiera de les mettre aux arrêts en 1560, au cours des événements de la Conjuration d’Amboise. Si ce complot échoue, le traumatisme est énorme, car c’est la première fois que le Roi est directement « menacé ». A partir de ce moment, les Guise ont un pouvoir total et un conflit armé débute contre le parti protestant et ses places fortes. A partir de 1562 et le Massacre de Wassy (20 à 74 victimes protestantes selon les sources), les guerres se succèdent. Trois camps sont en présence: le parti catholique, le parti protestant (qui représente environ 2 millions de personnes dans un royaume de 20 millions), et le parti royal que Catherine de Médicis essaie désespérément de garder neutre afin de préserver l’intégrité du Royaume.
En 1570, après des conflits meurtriers et ruineux dans lesquels se sont impliqués des puissances étrangères, une paix durable semble entrer en vigueur, Charles IX accordant aux protestant une certaine liberté de culte par l’Edit de Saint-Germain.
En 1572, sont célébrées à Paris les noces de Marguerite de Valois (future « Reine Margot ») et de Henri de Navarre (futur Henri IV). A cette occasion, qui voit une catholique épouser un protestant, des membres très influents des deux partis sont réunis, dont les Guise et l’Amiral de Coligny. Les événements qui suivent sont sujets à caution et tout et n’importe quoi a été dit à leur sujet, néanmoins il semble que les Guise aient voulu faire assassiner Coligny pour venger l’un des leurs tué dix ans auparavant. S’ensuivent des tensions entre parti catholique et parti protestant, qui culminent avec l’assassinat des principaux chefs protestants présents à Paris. Coligny, qui avait survécu à la tentative d’assassinat, est tiré hors de son lit et défenestré par une petite troupe à la solde des Guise.
Ces assassinats ciblés, dans un contexte de tensions au sein de la population civile, amènent les parisiens à s’attaquer eux aussi aux protestants, au cours de la nuit de la Saint Barthélémy. L’événement provoquera la mort de 3000 personnes en quelques heures, et se répandra dans toute la France au cours de la « saison des saint Barthélémy ». Les sources ne fournissent pas le nombre exact des victimes, mais celles-ci sont estimées à environ 10 000, certains avançant le chiffre de 30 000. Ces massacres traumatisent durablement le Royaume, et aboutiront aux réflexions sur la liberté d’opinion des Lumières au 18e siècle.
Pourquoi ces événements sont-ils importants aujourd’hui, au 21e siècle?
Vous ne pouvez pas avoir manqué les polémiques qui ont émaillé l’été (migrants, burkini australo-libanais…), ni les attentats de Nice et de Rouen, sans parler des attaques dans la rue ou dans les trains (en Allemagne). Plus que jamais en France, les tensions entre musulmans et catholiques sont palpables et aboutissent de plus en plus à des actes de violence, de part et d’autre. Au milieu de ces tensions, se trouve un gouvernement non seulement faible, mais en plus totalement à côté de la plaque et idéologiquement ancré sur des notions totalement faussées.
Avant de poursuivre plus avant, je préfère préciser deux-trois choses. Si j’aime mon pays, je ne suis pas un extrémiste xénophobe. J’aime la société française en ce qu’elle est à l’écoute du monde, de par son histoire, et ouverte aux autres cultures. Même si les français sont parfois arrogants, je ne connais pas d’autre pays où les citoyens organisent autant de fêtes populaires où chacun peut y trouver son compte. Je ne connais aucun autre pays où il y a une réelle volonté de « vivre ensemble », c’est à dire de façon non-communautarisée. Mais cette volonté est en train de disparaître…
Notre ouverture sur les cultures islamiques n’est pas récente: le coran a été traduit par Du Ryer dès 1647 en français; il s’agit à ma connaissance de la première traduction occidentale moderne de ce texte. Voltaire lui-même connaissait partiellement l’histoire de l’Islam et en a tiré en 1742 un pamphlet anti-religieux intitulé Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète, dirigé contre l’Eglise Catholique. Au 19e siècle, les Orientalistes « redécouvrent » le Proche-Orient. Avec la campagne d’Egypte de Napoléon Ier, une véritable passion pour les cultures arabo-islamiques et les civilisations pré-islamiques s’empare du pays. Le Coran est retraduit à de nombreuses reprises (en « Alcoran », « Koran », etc), les peintres et les écrivains s’inspirent de thèmes de la culture islamique et ottomane et produisent une vision fantasmée qui finira par motiver en grande partie l’aventure colonialiste française (car avant d’être une conquête, le colonialisme était bel et bien perçu comme une « aventure exotique », avant de se transformer en projet politique conquérant à part entière). Bref, la France a un véritable amour pour les cultures islamiques, de même que nous avons un véritable amour pour les cultures asiatiques, africaines, mésoaméricaines, nordiques ou slaves.
Cet amour est cependant mis à mal depuis une vingtaine d’années, au point qu’aujourd’hui, une hostilité communautaire réelle est palpable. Il suffit de regarder les commentaires d’un article faisant vaguement allusion aux conflits orientaux ou à la religion pour se rendre compte qu’il existe une véritable fracture d’origine religieuse entre européens et maghrébins, quelle que soit leur nationalité, et d’autant plus dangereuse que personne ne semble avoir l’intelligence ou le courage d’énoncer les problèmes et de proposer des solutions sans stigmatiser et catégoriser les uns ou les autres.
Là encore je préfère préciser quelques petites choses. Les deux « camps » ont tort, et sont manipulés par des groupes d’influence qui ont leur propre agenda politique, et qui se servent des événements à leur profit pour donner l’illusion qu’ils ont raison. De façon générale, les gens aspirent à la paix et à la bonne entente, quelle que soit leur culture ou leur origine, mais le climat ambiant est délibérément anxiogène, avec un risque terroriste islamiste omniprésent dans les médias et dans la bouche de nos gouvernants. On oublie cependant beaucoup trop que la France est un Etat laïc où la liberté d’opinion et de conscience est protégée et promue, et la Religion est en principe séparée de l’Etat, appartenant à la sphère privée pour ne pas dire personnelle.
En principe.
Depuis 2003 en effet, l’Etat a créé à l’instigation du Ministre de l’Intérieur d’alors, Nicolas Sarkozy, le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), association de type loi 1901 pour « représenter les musulmans de France ». Par pur opportunisme électoral, il s’agissait de promouvoir une vision idéologique communautariste de la religion musulmane, dans un contexte où le candidat à l’élection de 2007 entendait promouvoir la « discrimination positive » à l’américaine, alors que les pays anglo-saxons n’intègrent pas leurs minorités mais favorisent le communautarisme intégriste, qu’il soit religieux (qu’on pense aux Mormons, à la Scientologie ou aux Amish, qui se rassemblent dans des villes créées de toutes pièces pour eux) ou militant (groupes d’influence pro-Israel, associations LGBT, lobbys pro-armes…). Son adversaire, le premier Ministre Dominique de Villepin, a créé en 2005 la Fondation des Oeuvres de l’Islam de France, dans une optique moins clivante puisqu’il s’agissait de permettre le financement transparent des Mosquées et de leur fonctionnement. Dans la foulée, le Gouvernement français a opéré un rapprochement spectaculaire avec l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et le Qatar à des fins affairistes et financières. En contrepartie, notre pays a accueilli des religieux formés dans ces pays, c’est à dire issus de mosquées salafistes et traditionalistes. S’il faut reconnaître que cette pénétration des doctrines traditionalistes islamistes ne date pas de cette époque puisqu’on peut en trouver l’origine avec la création de l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF) en 1983, fédération proche des Frères Musulmans (désormais considérés comme organisation terroriste) et le mouvement politique islamique Ennahdha (le même qui prendra le pouvoir en Tunisie après la chute de Ben Ali en 2011), la pénétration des idées extrémistes s’est largement accélérée en France dans les années 2000.
Depuis lors, les polémiques n’ont jamais cessé, et les conflits proche-orientaux ont été importés sur notre territoire. Alors que nous n’étions pas visés par les attentats d’Al Qaïda après le 11 septembre (et qui ont frappé Madrid en 2004 et Londres à deux reprises en juillet 2005), nous nous sommes retrouvés en première ligne en raison de la publication par Charlie Hebdo des caricatures de Mahomet en février 2006. L’intervention en Afghanistan promue par le président Sarkozy a permis le recrutement de jeunes français par Al Qaïda (comme Mohamed Merah), et la radicalisation d’un nombre de plus en plus croissant de fidèles musulmans aux opinions rigoristes.
Comment en est-on arrivés là? Contrairement à l’idée générale, le terrorisme ne trouve pas son origine et sa justification dans une lecture post-colonialiste des interventions occidentales au Proche-Orient. Nous ne sommes pas ciblés parce que nous bombardons la Syrie ou soutenons (de moins en moins) Israel. Les attentats actuels proviennent d’une radicalisation qui a pris énormément de temps, et dont l’origine en France peut être retracée aux années 1980. Le mouvement Ennahdha (fondé en 1981) et les Frères Musulmans (fondés en 1928), qui ont dirigé l’UOIF, sont des mouvements politiques ET religieux: ils promeuvent l’idée de sociétés islamiques soumises à la Charia, bref en quelques mots, de conquérir et convertir les Etats non-islamiques pour instaurer un Califat Islamique (une obsession chez les intégristes musulmans), selon des préceptes pseudo-religieux datant de la fin du 19e siècle. Or, leur méthode est celle de la patience: par de petites touches, ils avancent leurs pions et radicalisent suffisamment de gens sans en avoir l’air jusqu’au moment où ils peuvent prendre le pouvoir, si possible par les urnes, comme en Tunisie en 2011. Cette méthode a été clairement exposée par Rached Gannouchi, ce qui a provoqué in fine sa chute…
Dans un pays comme la France, très ouvert aux autres historiquement et par nature, ces islamistes ont avancé leurs projets par des demandes à priori légitimes, comme la reconnaissance des fêtes religieuses (Ramadan, Aïd, Pélerinage à la Mecque), puis la reconnaissance du régime Halal dans la société (alors que les méthodes d’abattage rituel sont totalement contraires aux méthodes normalement en vigueur en France), puis la tenue de congrès de plus en plus importants, la volonté de promouvoir les « minorités visibles » à la télévision (alors que la France ne reconnaît qu’un type de citoyen quelle que soit son origine, le citoyen français…), puis la promotion de « produit ethniques« , puis la tentative de promotion d’un néo-créationnisme religieux à l’école, puis l’apparition de plus en plus fréquente de vêtements intégristes comme le Niqab (et désormais le Burqini)… Cet islamisme littéralement rampant a bénéficié d’une part de la bonne volonté française de ne pas exclure qui que ce soit de la vie publique, et d’autre part du militantisme idéologique et sélectif d’organisations pseudo-antiracistes qui oublient systématiquement de prendre fait et cause pour les asiatiques, accusent d’islamophobie toute personne critiquant les dérives communautaristes et intégristes de certains musulmans, et nient l’existence du racisme à l’encontre des populations blanches, comme si seuls les blancs étaient racistes…
Aujourd’hui, la société française se polarise entre d’un côté les « antiracistes » et les islamistes, et de l’autre, les « nationalistes » (qui ne savent même plus pour quelle France ils militent, entre Vichy et Napoléon) et leurs alliés catholiques intégristes (Civitas, Deus Vult, Manif Pour Tous, SOS tout petits, et toute cette nébuleuse nauséabonde). Et au milieu, donc, des gens qui essaient d’éviter le conflit entre les deux camps, gens qui sont de moins en moins nombreux. Ces deux camps-là veulent en découdre. La rhétorique islamiste est désormais celle de la future guerre civile (« pour la défense des minorités musulmans opprimées »), de même que celle des « néonationalistes » (qui prônent la défense armée du « peuple français de souche »).
Une nouvelle guerre civile, religieuse, est tellement plausible désormais en France qu’elle devient désormais un sujet littéraire et un sujet de propagande. C’est également une notion qui revient en permanence dans les commentaires d’articles voire dans la bouche des professionnels eux-mêmes.
Quatre siècles et demi après la sanglante Saint Barthélémy, des organisations politico-religieuses menacent une nouvelle fois de déchirer notre pays et de le plonger dans le sang et le chaos. On ne peut plus se permettre de tolérer l’intrusion du fait religieux dans la vie quotidienne de notre société: il faut le combattre de toutes nos forces, qu’il s’agisse de l’Islam ou de l’Eglise, qu’il s’agisse d’organisation religieuses ou de leurs soutiens indirects (partis, franc-maçons, associations…), sous peine de voir notre belle France se muer en un nouveau conflit des Balkans. Seule la laïcité la plus radicale et la plus intransigeante pourra nous éviter le pire…