Qu’est-ce que la souveraineté? – Gérard Mairet

Franchement plutôt nul.
Cette édition augmentée du Principe de Souveraineté paru en 1997 est enrichie d’un court essai absolument navrant, « Recommencement d’Europe », qui n’est qu’un plaidoyer pro-Union européenne dont le discours est juste imbuvable. Oui, il parle du conflit russo-ukrainien, mais en fait surtout une opportunité pour le projet fédéraliste de l’UE. C’est nul, et j’irais même jusqu’à dire que c’est minable que d’utiliser un conflit meurtrier pour faire avancer des thèses déjà contestables.

Sur le reste…
Gérard Mairet nous livre un ouvrage sur un sujet qu’il présente comme fondamental, mais où il ne va jamais dans le détail. C’est une discussion, que j’ai trouvé franchement verbeuse et rasoir, qui se contente de parler de Machiavel, Jean Bodin, Kant, Hobbes, Montesquieu, Rousseau, Marx. Ici et là sont glissées quelques références comme Guizot, quelques pages consacrées à Annah Arendt pour faire bonne mesure (ça fait toujours bonne mesure de parler de Annah Arendt, même quand on dit n’importe quoi ou des choses lues dans une biographie de presse), Spinoza, Weber (parce que bien sûr, Weber est incontournable dans ce type d’ouvrage). On rajoute un passage sur Clausewitz parce qu’on a cité Hegel en ouverture, et parce que c’est à la mode.

Au final, qu’est-ce qu’on a?
On constate que l’auteur a surtout très bien compulsé ses fiches de lecture. On est dans la généralité, le résumé, le condensé, mais réinterprété dans le sens du sujet, quitte à trahir l’oeuvre commentée. D’ailleurs, l’oeuvre en question sera très peu citée, même pas identifiée autrement que par son titre. Parce que oui, je ne vous l’ai pas encore dit, mais ce bouquin n’a même pas la décence de fournir une bibliographie, il faudra se contenter de notes de bas de page, balancées une fois, et tant pis pour ceux qui ne suivent pas le fil de la pensée de l’auteur de A à Z d’un seul trait.
Il n’y aura jamais d’analyse approfondie d’un texte servant à Gérard Mairet à « réfléchir », « analyser », « discourir ». le texte est en fait un prétexte à envoyer une salve d’idées, certaines saugrenues qui font sérieusement douter que Mairet ait lu le bouquin dont il parle. C’est particulièrement étrange dans le cas de Hobbes, qu’il a traduit (Leviathan en 2000), mais aussi de Bodin, qu’il a édité en 1993.
Un exemple: « Quant à la souveraineté elle-même elle est, dans son concept, la puissance de donner loi: elle est, en d’autres termes, la volonté du souverain. Faire de la volonté — volonté humaine — la puissance ordonnatrice de la république, tel est le projet général de Bodin dans les Six Livres. Un tel projet revient donc à disqualifier tout fondement non humain, naturel ou divin, de l’Etat historique, lequel, dès lors, mérite en effet d’être appelé « historique ». Produit de la volonté, résultat de la force, l’Etat est pour ainsi dire cause de soi et c’est précisément cette autonomie de la politique humaine qu’exprime le principe de souveraineté: auto-nomie de l’action humaine se donnant à soi-même sa loi. »
Je pense que Mairet s’est contenté de ne lire que le chapitre VIII du livre I de la République de Bodin, « De la Souveraineté ». Bodin place toujours et avec insistance le souverain sous le patronage divin, en ce que Dieu a placé le souverain à sa place sous la réserve que celui-ci respecte toujours la Foi et surtout la Justice. Quant à la république elle-même, Bodin prend énormément de temps dans les premiers chapitres pour asseoir l’ancienneté des lois, et des formes de gouvernement, pour en démontrer le caractère… naturel. Dire, donc, que Bodin disqualifie les projets « naturel » (émergeant du Droit Naturel) ou « divin », c’est une erreur crasse et un aveu d’ignorance: le genre de bévue qu’un étudiant peut commettre quand il commente un ouvrage qu’il n’a pas lu.
De même, affirmer que la république, chez Bodin, est « résultat de la volonté, produit de la force », c’est ne pas avoir lu ce qu’il écrit à propos de la tyrannie. C’est tout le contraire chez Bodin, qui plaide pour la monarchie royale (et non pas seigneuriale), c’est à dire la monarchie limitée par les lois fondamentales, le droit naturel et le droit coutumier, même si hors ces limitations, le roi est « absolu ».
Franchement, je ne comprends pas comment Mairet a pu écrire ça, à part en supposant qu’il s’est contenté de fiches de lecture et s’est laissé emporter dans un élan lyrique au lieu de réellement travailler sur les oeuvres qu’il invoque. On ne peut pas affirmer que Jean Bodin détache la souveraineté de la mystique divine quand le même Bodin rédige de la Démonomanie des Sorciers, un ouvrage dénonçant la sorcellerie comme affront fait à Dieu…

Et c’est du même acabit tout au long des 300 pages. Des envolées littéraires, de la philosophie de posture, mais qui n’entre jamais dans le détail, ne sort jamais de la zone de confort des auteurs bien connus (visiblement, pas vraiment, en fait). Dès qu’on sort de ces auteurs-là, c’est la catastrophe: Charles Loyseau est ainsi présenté comme un « disciple de Bodin » alors que les deux ne se sont jamais rencontrés. Loyseau a placé son Traité des Seigneuries dans la lignée de Jean Bodin, mais c’était à titre d’hommage pour un auteur apprécié pour une notion en particulier (la distinction sur les types de royautés), pas pour saluer un maître à penser…

Alors voilà, je ne vais pas faire tous les auteurs parce que ça va être aussi long et chiant que ce bouquin, mais tout est du même tonneau. Je crois que simplement, Gérard Mairet ne sait pas de quoi il cause, il raisonne en philosophe sur des auteurs qui étaient d’éminents juristes et politiques. Les auteurs qu’il cite sont des prétextes à discourir sur un thème relié à la Souveraineté, du moins ce que Gérard Mairet imagine être la Souveraineté. Ouvrir son livre sur Machiavel, ne jamais aborder le moindre évènement historique fondateur de la notion, ne pas parler des auteurs majeurs comme Grotius, Pufendorf, de choses incontournables comme la pratique diplomatique (consistant à reconnaître la souveraineté d’autrui pour traiter avec lui…), les conceptions juridiques, les guerres (la guerre de trente ans qui débouche sur les Traités de Westphalie, les conquêtes coloniales, la guerre d’indépendance américaine…), ou simplement des institutions internationales dans le cadre desquelles la souveraineté dans sa conception contemporaine existe et s’exerce…

Non, franchement, cet essai est nul (et même faux!), à tous les points de vue. C’est une perte de temps (et d’argent). C’était inutile de rééditer ce texte, surtout avec cet essai affligeant qui le précède.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *