La Société industrielle et son avenir, par Ted Kaczynski

Industrial Society and its Future, tiré de The Road to Revolution, éditions Xénia (2008)

Ted Kaczynski est à n’en pas douter une personnalité étrange et sulfureuse. Mieux connu sous le nom d’UNABOMBER que lui a attribué le FBI lors de sa traque qui a duré 18 ans, Kaczynski est actuellement enfermé dans une prison haute sécurité américaine, et est atteint d’un cancer en phase terminale au moment où j’écris ces lignes.

Né en 1942, il est très tôt reconnu pour ses talents de mathématicien. Il entre à Harvard à 16 ans puis obtient son doctorat de mathématiques à l’université du Michigan à 25 ans. Spécialisé dans l’analyse complexe des fonctions géométriques, il deviendra dès 1967 professeur adjoint à Berkeley, en Californie. Cette expérience semble le marquer profondément, comme nous le verrons plus loin.

En 1971, Kaczynski plaque tout et part vivre dans une cabane sans eau ni électricité, dans le Montana, sur un terrain forestier semi-montagneux qu’il a acquis. Sa vie publique ne reprendra qu’en 1996, lorsqu’il sera arrêté par le FBI pour avoir envoyé 16 colis piégés à diverses personnes à travers les Etats-Unis. La motivation de ces attentats était de lutter contre la destruction de l’environnement, contre des personnes représentant aux yeux de Kaczynski la société industrielle et ses méfaits. Parmi ses victimes, figurent un étudiant, des vendeurs d’ordinateurs, des professeurs d’université, un publicitaire, le représentant de l’association de sylviculture de Californie…

Kacynski est arrêté en 1996, après la parution de son essai intitulé « la société industrielle et son avenir » dans le New York Times et le Washington Post. Ses idées et ses thèses sont reconnues par sa belle-soeur et son frère, qui alertent le FBI. Il est condamné à la prison à perpétuité sans possibilité de remise de peine en 1998, et comme je le disais, est toujours enfermé à l’heure actuelle.

Ted Kaczynski lors de son arrestation, le 3 avril 1996

Au fil des ans, Kaczynski s’est transformé en célébrité voire en exemple dans certaines sphères de la société, en particulier chez les militants écologistes radicaux (en particulier l’éco-fascisme), ainsi que chez une certaine frange de la droite radicale, de façon assez marginale. Son essai, en particulier, est devenu une des références culturelle que l’on voit régulièrement passer dans certains memes, en particulier ses deux premières lignes: « la société industrielle et ses conséquences ont été une catastrophe pour la race humaine ».

Parce que justement cet essai est devenu central dans une certaine pensée idéologique, j’ai décidé de m’y intéresser et d’acquérir l’ouvrage intitulé « The Road to Revolution », publié aux éditions Xénia (Suisse) en 2008, qui rassemble les essais de Théodore Kaczynski et la version « définitive », revue et corrigée, de l’essai « La société industrielle et son avenir ».

La Société Industrielle et son avenir

Cet essai est sans aucun doute l’écrit le plus connu de Kaczynski, même si de l’aveu de son auteur, il n’a absolument rien d’original et est même très superficiel. L’objectif de cet essai n’était pas de poser un programme ni de présenter des idées nouvelles, mais de les faire découvrir à un grand public qui ne les aurait autrement jamais découvertes. Comme l’explique Kaczynski dans le post-script de son essai, il s’agit de donner accès à des idées que les livres de l’époque étaient trop complexes pour être intelligibles par le grand public. Notamment, les oeuvres de Jacques Ellul semblent avoir été sa principale source d’inspiration. Ellul était un professeur d’Histoire du Droit français, qui s’est spécialisé dans les formes de l’aliénation au sein de la société du 20e siècle. Auteur de plus de 50 ouvrages au long de sa carrière, sa pensée est diverse et rend son oeuvre difficilement classable, même si certaines thématiques ressortent régulièrement. Spécialiste du marxisme, dont il a tenu un cours à l’université de Bordeaux pendant une trentaine d’années, Ellul a également tenu de très vives critiques contre la société industrielle aux USA, et en particulier contre ses effets psychologiques sur les ouvriers des grandes usines de production. Ellul a également été l’un des premiers militants pour l’environnement, avant que le mouvement écologiste se transforme en parti politique.

Jacques Ellul dans son bureau de travail, date inconnue

La proximité de pensée entre Kaczynski et Ellul n’est donc pas étonnante, puisqu’elle dérive d’un même postulat: la société industrielle a été une catastrophe pour l’espèce humaine. Kaczynski n’a fait que rendre les idées d’Ellul intelligibles pour le peuple américain.

La forme de son essai n’étonnera pas les habitués des lectures mathématiques: divisé en 232 points, La Société Industrielle et son Avenir (ISAIF, pour « Industrial Society and its Future ») est un essai structuré et relativement concis, rédigé dans un langage simple et accessible, sans jargon scientifique ni idéologique.

Son contenu, en revanche, peut surprendre ceux qui imaginent avoir affaire à un essai environnementaliste, car loin de se focaliser sur ces points, cet essai se veut avant tout une critique très sévère contre le système politico-médiatique qui asservit l’être humain (et, certes, a des conséquences sur l’environnement).

La cible principale de Kacynski présente ainsi deux visages: d’une part, la technologie, dont l’usage et le développement n’a eu de cesse de réduire les libertés humaines à ses yeux, et d’autre part, le gauchisme, qui consitue selon lui une sclérose de la pensée et éteint toute indépendance d’esprit. La conjugaison de ces deux phénomènes entrainera pour Kaczynski une catastrophe d’ampleur pour l’Humanité.

Le gauchisme selon Kacynski

Abordé dès la première partie d’ISAIF, à partir du paragraphe 6, le gauchisme représente pour Kaczynski tout ce que la société industrielle a produit de mauvais, en broyant les êtres humains pour les réduire à l’état de gauchistes, c’est à dire de personnes faibles et vulnérables dont le nombre permet de détourner le système démocratique en leur faveur, du moins en apparence. Le gauchiste est défini comme « toute personne souffrant d’un sentiment d’infériorité », c’est à dire ayant une faible estime de soi, une impression d’impuissance face aux événements, des tendances à la dépression, à l’auto-culpabilisation, au défaitisme, à la haine de soi, etc., de façon plus ou moins réprimée.

Kaczynski explique que ce genre d’individus se retrouve principalement chez les militants des droits humains et des minorités raciales et/ou sexuelles, ainsi que chez les militants des droits des animaux. Pour une raison simple: ces causes où l’on défend les « faibles » sont extrêmement gratifiantes pour l’égo car dans nos sociétés démocratiques et égalitaristes, elles sont facilitées par l’absence d’enjeu réel et d’opposition crédible. Kaczynski explique que ces « luttes » n’auront jamais de fin, parce qu’elles sont nécessaires aux gauchistes pour obtenir le sentiment de puissance dont ils se sentent privés dans leur vie quotidienne. Quels que soient leurs résultats, ils ne seront jamais suffisants, et il y aura toujours de nouvelles revendications allant encore plus loin que les précédentes, quitte à revendiquer l’inacceptable. Sans ces « luttes », le gauchiste ne peut pas exister (et inversement). Notons que le gauchisme ne consiste pas en un alignement politique avec des partis socialistes ou marxistes, même si ces partis tendent à occuper ces domaines.

Manifestation pro-LGBT, USA, juin 2020

Sur ce point, Kaczynski semble avoir particulièrement été influencé par sa brève carrière universitaire à Berkeley, en Californie. Au moment où il est étudiant puis devient professeur, se déroulent en effet les protestations en faveur du mouvement des droits civiques, qui déboucheront sur l’abolition des lois ségrégationnistes en 1968 dans tous les Etats Unis. L’influence du « gauchisme » dans les universités américaines, en particulier en Californie, est à l’époque particulièrement importante, et n’a eu d’ailleurs de cesse de se renforcer jusqu’à nos jours. A ce titre, on ne peut que reconnaître que Kaczynski avait raison et dans une certaine mesure prédit l’avènement du « wokisme », apparu dès le début des années 2000 justement en Californie (ISAIF a été rédigé en 1995), sous la forme d’une radicalisation et d’une polarisation extrême des revendications sur les droits des minorités en particulier sexuelles, à travers le mouvement LGBT.

Le wokisme démontre que l’affirmation selon laquelle « quels que soient leurs résultats, ils ne seront jamais suffisants aux yeux des gauchistes » formulée par Kaczynski est pertinente. Tout ce qui a été écrit sur l’université Evergreen, ou sur les dérives idéologiques voire sectaires de Science Po Paris, trouvait déjà son explication chez Kaczynski. Mais pour lui, justement, le gauchisme n’est pas la vraie racine du mal, car il n’est que la conséquence de la révolution industrielle du 19e siècle, et ne pourra que s’aggraver à mesure que le temps passe et que la technologie prend le contrôle de nos vies.

La technologie comme racine de tous les maux

A partir du paragraphe 121, Kaczynski s’attaque frontalement au problème de la technologie. Après avoir expliqué dans les paragraphes précédents que la liberté ne pouvait plus s’obtenir par de simples réformes politiques, Kaczynski s’emploie à démontrer que la raison pour laquelle les réformes ne peuvent plus fonctionner est liée aux progrès technologiques.

Pour lui, le Progrès n’a eu pour conséquences que de rendre l’être humain esclave de la société, en le réduisant à l’état de simple rouage dans la machinerie du système, et en le privant de plus en plus de toute influence et capacité de décision. S’il vise évidemment l’influence des médias qui, à travers le papier, les ondes radiophoniques et la télévision façonnent les esprits et les anesthésient en quelques sortes face à l’horreur de leurs vies ultra-socialisées (on ne peut s’empêcher ici de penser aux travaux de John Calhoun sur les populations de rats, en particulier la fameuse « Mouse Utopia »), la cible de Kaczynski n’est cependant pas seulement les médias, mais l’ensemble de la technologie moderne: téléphone, voiture, électroménager, ordinateurs, bref, toute la technologie industrielle et post-industrielle.

C’est ici, je dois dire, que le message de Kaczynski se brouille un peu. On comprend évidemment que son existence dans une simple cabane au fond des bois a constitué pour lui le modèle de société qu’il désire pour l’ensemble de l’Humanité, en postulant que ce n’est qu’ainsi qu’elle pourrait se libérer et se réaliser. En fait, cette partie est plutôt brouillonne car Kaczynski accepte sans l’expliquer les thèses anarcho-primitivistes. En somme, il s’agit d’une redite de Rousseau, pour qui le « sauvage », le « primitif », n’ayant pas été corrompu par la Société, est donc fondamentalement « bon ». Et c’est là l’une des énormes failles de cet essai, car évidemment, ce n’est pas le cas. Kaczynski lui-même rédigera par la suite une critique de cette pensée, dans l’essai « La vérité à propos de la vie primitive: une critique de l’anarcho-primitivisme ». Mais pour des raisons de simplicité et d’accessibilité, ISAIF ne discute pas cette théorie, et l’accepte pleinement.

Résoudre les problèmes de la Société Industrielle, c’est donc l’abolir par un révolution dont l’objectif est le retour à une vie pré-industrielle, essentiellement forestière. Clairement, Kaczynski se pose en partisan des thèses néo-luddites et semble militer en faveur d’une vie communautaire telle qu’on la trouve chez certains groupes religieux, comme les Amish américains. Cela, néanmoins n’est pas explicite, et n’est d’ailleurs pas très clair, car si Kaczynski explique que toute technologie est mauvaise et ne peut qu’avoir de mauvaises conséquences sur les libertés individuelles, il n’explique pas jusqu’où, selon lui, il faudrait régresser. Le terme de « technologie » n’est en effet jamais réellement défini par Kaczynski, et peut s’appliquer aussi bien aux technologies industrielles (utilisation du charbon, de la vapeur, etc.) qu’aux technologies pré-industrielles, telles que la métallurgie (mines, forges…). Les Amish, par exemple, vivent encore selon les technologies disponibles au 18e siècle et n’emploient ni électricité, ni carburants, mais n’en sont pas moins des artisans faisant usage de métaux. Or, les métaux ne s’obtiennent pas sans conséquences, ni pour les êtres humains, ni pour l’environnement, même dans les conditions d’extraction les plus simples, comme on le voit dans les mines artisanales en Afrique et en Amérique du Sud. Ces mines ont d’ailleurs un impact majeur sur l’environnement: destruction des sols, des aires boisées, pollution des cours d’eau, empoisonnement des mineurs, etc.

Mine d’or artisanale en Guinée. Les effondrements sont fréquents et causent la mort de centaines de personnes chaque année, sans parler de l’impact environnemental majeur…

Kaczynski essaie de résoudre ce problème en distingant deux types de technologies: celle à petite échelle (artisanale), et celle à grande échelle (industrielle). Leur différence réside dans leur complexité: la première ne nécessite que de « petits » savoirs aisément transmissibles, tandis que la seconde nécessite toute une organisation pour la soutenir. C’est ainsi cette seconde technologie qu’il souhaite voir disparaître, au profit de la première, en expliquant qu’elle ne disparaît jamais vraiment. Malheureusement, il prend ici l’exemple de l’Empire Romain, en affirmant qu’après sa chute, aucun « petit » savoir ne s’est perdu. Cette affirmation est malheureusement on ne peut plus erronnée. L’alphabétisation s’est effondrée en même temps que l’Empire Romain, et avec elle a disparu presque l’ensemble des connaissances de l’époque. Même les savoirs artisanaux n’ont été que difficilement transmis, et l’ont été de façon parcellaire. Les techniques de construction, les techniques métallurgiques, même l’agriculture et l’élevage, ont connu une régression sans précédent dans l’histoire occidentale. Ces savoirs n’ont été retrouvés qu’avec les Croisades, non pas par le contact avec les musulmans au Moyen-Orient, mais avec l’Empire Romain d’Orient, à Constantinople, qui constituait l’un des passages obligés vers la Terre Sainte. Car l’Empire Romain n’a disparu qu’en Occident, pas en Orient. L’Orient n’a pas connu l’effondrement sociétal qu’a connu l’Occident, même si la décadence impériale a tout de même eu un impact sur les connaissances de l’époque. La « petite renaissance » du 13e siècle a été générée précisément par cette redécouverte, avant que les dynamiques socio-économiques rompent à nouveau les liens et le développement jusqu’au fameux « Quattro Cento » italien et le renouveau du commerce international avec Venise, l’Espagne et le Portugal, puis les Pays-Bas, la France et l’Angleterre à partir du 16e-17e siècle.

Le problème de la régression technologique n’est pas le seul point noir de cet essai. Kaczynski prône une révolution plutôt qu’une réforme. Kaczynski n’est pas un décroissant au sens actuel du terme, mais souhaite plutôt un effondrement total. Il n’est pas collapsologue non plus, il n’explique jamais comment la Société Industrielle va s’effondrer, il se borne à expliquer que la Technologie aura des conséquences désatreuses pour notre espèce et probablement l’ensemble de la planète. Il n’explique pas comment il envisage cette révolution. On devine qu’il prône une révolution violente, puisque lui-même s’est employé à expédier des colis piégés à des personnes qu’il estimait être responsables de l’état des choses. C’est ici sa rupture avec Ellul, qui n’envisageait jamais d’action violente. Justement, cette révolution que Kaczynski appelle de ses voeux en évoquant les révolutions de 1789 et de 1917, semble n’être pour lui qu’une passade: il n’envisage pas réellement ce qu’il y aura après. Il imagine simplement que la société aura régressé au point que la vie démocratique et le respect de l’environnement permettront à tout le monde de vivre librement. Outre le fait qu’il n’explique jamais réellement en quoi consisterait cette liberté et en quoi elle serait préférable à la situation actuelle (il se borne à pointer du doigt le gauchisme comme étant une conséquence négative de la société industrielle, causée par l’aliénation décrite par Ellul), il semble ne pas se soucier de ce qui adviendra par la suite. Il l’explique même très clairement au paragraphe 212: il se fiche de savoir si 500 ou 1000 ans après la révolution la société retourne vers l’industrialisation, ce n’est pas son problème mais celui des personnes qui le vivront. Stupéfaction que de constater que le modèle de vie prôné par Kaczynski ne semble pas être à ce point préférable pour notre espèce qu’il se fiche totalement de savoir si ses descendants y retourneront!

Conclusion

A travers ce paragraphe 212, je pense que l’on peut clairement comprendre que Kaczynski n’a pas réellement écrit un ouvrage pour exposer son idéologie et la faire partager au amximum. Il se fiche de sa propre révolution et de ses conséquences ou de sa pérénité.

Industrial Society and its Future, par ces quelques lignes, n’est pas tant un essai qu’une auto-justification où Kaczynski essaie de se convaincre du bien fondé de ses propres crimes. L’enrobage idéologique, d’essence néo-luddite plutôt qu’environnementaliste, ne sert qu’à camoufler la propre impuissance de Kaczynski à vivre en paix.

Il n’explique jamais que que sa motivation originelle était de fuir la société, par ce « recours au forêts » décrit par Ernst Jünger, dans son Traité du Rebelle, où il décrit la figure du Walganger scandinave, littéralement « celui qui fuit dans la forêt ». Ce qu’est clairement Kaczynski lorsqu’il se réfugie dans sa cabane forestière en 1971, après son expérience tumultueuse à Berkeley. L’envoi de ses bombes n’a commencé qu’en 1978, après la destruction de plusieurs endroits qu’il affectionnait dans ses environs par une exploitation forestière. Dès 1975, il avait mené sans succès des opérations de sabotage de diverses entreprises de construction et de déforestation.

C’est finalement parce que lui-même s’est senti impuissant face à ces destructions qu’il a commencé à vouloir agir, puis à envoyer des colis piégés. A mesure qu’il s’enfonçait dans une attitude revancharde, Kaczynski s’est senti obligé de justifier ses actes et de se présenter comme un révolutionnaire. Si on lui applique sa propre définition du gauchiste, on ne peut que constater que Kaczynski en est un lui-même, s’engageant dans une cause sans fin, sans objectif réellement défini en dehors de grands principes, et surtout impuissant à lutter et à exister dans la société industrielle autrement qu’à travers son propre (vain) combat non pas pour l’environnement, mais contre la technologie.

Ted Kaczynski à Berkeley, c. 1967

Kaczynski a été diagnostiqué schizophrène avant son procès en 1998, sans que l’on sache bien s’il l’était dès le départ, ou s’il a développé ces tendances lors de son isolement dans les forêts du Montana. Une autre thèse, plausible mais sans réelle confirmation, explique que Kaczynski, du temps où il était étudiant, a participé à certaines expérimentations en lien avec le programme MK-Ultra (qui n’est PAS une théorie conspirationniste), visant à tester diverses techniques de contrôle et de conditionnement par l’usage de drogues. Il se trouve que justement, Kaczynski a effectivement participé à des études sur le contrôle et le conditionnement en tant que cobaye, sous l’égide du Pr. Henry Murray, de l’université de Harvard, lorsqu’il avait 17 ans. L’expérimentation de Murray consistait en la rédaction d’essais qui seraient ensuite donnés à un autre participant, dont la mission était de démonter de façon très agressive chaque argument développé dans l’essai. Kaczynski a participé à l’étude pendant plus de 200 heures, subissant les assauts de ses collègues de façon hebdomadaire. Si Kaczynski a toujours affirmé que ces expériences n’ont eu aucun impact sur sa vie, les psychologues qui l’ont examiné pensent le contraire.

Ted Kaczynski, peu après son arrestation en 1996

Théodore Kaczynski apparaît, à la lumière de ses écrits et de sa vie, comme une victime lui-même du système industriel, qui n’a su affronter les conséquences de celui-ci: aliénation, marginalisation, incapacité d’action et d’influence, sentiment de vacuité et dépression. Génie des mathématiques, Kaczynski n’avait pas l’esprit pour subir la société moderne: il aurait été qualifié aujourd’hui d’autiste, et probablement confié à des services éducatifs adaptés. Sa volonté de fuite, et la destruction de ce qu’il percevait comme son sanctuaire, l’a amené à commettre des actes criminels pour essayer de composer avec sa propre impuissance à affronter le monde. Cette inadaptation a causé la mort de 3 personnes, et en a blessé 23 autres plus ou moins grièvement. Même si Kaczynski a tenté de dissimuler sa faiblesse derrière un édifice idéologique et des revendications finalement peu claires, il est évident que La Société Industrielle et son Avenir ne peut être raisonnablement considéré comme un essai fondamental: si ses affirmations peuvent être pertinentes et si ses critiques doivent être entendues pour que la société s’améliore, entre les lignes on y devine surtout une auto-justification pour des actes qui n’ont eu aucune autre conséquence que de détruire des vies personnelles, et n’ont eu aucun impact sur la Société Industrielle elle-même…

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