La France est-elle un pays chrétien?

En 1905, après un long combat mené depuis les débuts de la IIIe République (1875), la Loi actait la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Affiche allégorique figurant la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Affiche allégorique figurant la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Celui-ci ne devait plus financer ou rémunérer une quelconque activité cultuelle avec l’argent des contribuables, et l’enseignement public devenait par conséquent laïc. Sans catéchisme à l’école, la Religion devenait ainsi l’affaire de la famille, dans la sphère du privé.

Cette laïcité ne s’est pas faite dans la violence et n’a pas été plus conflictuelle que cela: les organisations religieuses  conservaient l’utilisation des lieux de culte lorsqu’elles en justifiaient l’usage, les congrégations religieuses étaient officiellement reconnues depuis la Loi sur les associations de 1901, et le denier de l’Eglise, au lieu de financer le train de vie luxueux des prélats, était désormais destiné à la rémunération des prêtres et à l’entretien de leurs lieux de vie. Certains diocèses ont d’ailleurs pu racheter à l’Etat des édifices religieux sans aucun problème, et le 20e siècle a vu la construction d’environ 5000 édifices religieux par les Eglises (ce chiffre n’inclut pas les Mosquées et autres salles de prières musulmanes).

Comment expliquer que cette séparation se soit faite sans grands heurts, quoiqu’en disent les catholiques?

Il faut rechercher les racines de cette Loi plusieurs siècles auparavant, avec les guerres civiles de religion de la seconde moitié du 16e siècle. L’extrême violence des conflits opposant catholiques et protestants était très mal endiguée par les partisans du pouvoir royal, qui essayait de faire office de médiateur.

Illutstration tirée d'un ouvrage d'histoire pour enfant présentant les Dragonnades sous son angle le moins violent: le pillage des denrées alimentaires.
Illustration tirée d’un ouvrage d’histoire pour enfant présentant les Dragonnades sous son angle le moins violent: le pillage des denrées alimentaires.

Les massacres de la Saint Barthélémy d’août 1572 avaient fait des milliers de morts (3000 rien qu’à Paris, jusqu’à 30 000 au total dans le royaume selon les sources), et les campagnes étaient tout aussi touchées que les villes par les razzias, les pillages et les massacres à plus ou moins grande échelle. Si l’on cite régulièrement l’Edit de Nantes de 1598 comme modèle de tolérance religieuse, on oublie un peu trop souvent que les guerres de religions ont été relancées sous Louis XIV par l’envoi de régiments de Dragons (soldats royaux) dans les régions protestantes, pour vivre à la charge des familles. Concrètement, les protestants devaient nourrir, loger et entretenir les troupes, qui la plupart du temps se livraient au pillage des biens voire aux viols. Il s’agissait pour les protestants soit de se convertir au catholicisme pour faire partir les soldats, soit d’émigrer, avec tous les risques que cela comportait à l’époque.

Les persécutions religieuses n’étaient évidemment pas propres à la France et ont largement secoué toute l’Europe. L’émigration des puritains (protestants) anglais vers l’Amérique avec le célèbre épisode du Mayflower a lieu à partir du début du 17e siècle, preuve que la question n’a pas touché que notre pays. Ce conflit a en tout cas traumatisé durablement les pays qui ont eu à en souffrir, au point que la concorde entre religions deviendra une préoccupation majeure pour la société civile.

C’est sous les Lumières que sera mise en avant la Liberté de Conscience, c’est à dire le droit pour chacun d’exercer le culte qu’il désire. Les philosophes des Lumières eux-mêmes se détachaient de la religion: s’ils croyaient effectivement en un Dieu, il s’agissait plus pour eux d’être déistes que catholiques ou protestants. De fait, les seuls véritables dévôts parmi les intellectuels étaient ceux faisant partie de la Compagnie de Jésus, ou « jésuites ».

L’existence de Dieu était ainsi reconnue, mais d’une façon qui transcendait les confessions. Ce proto-laïcisme permettait la cohabitation de tous avec chacun, y compris les israélites (juifs) dans un pays très largement catholique.

Index des Livres Interdits suivant la règle définie par le Concile de Trente en accord avec les Pères de l'Eglise, 1564
Index des Livres Interdits suivant la règle définie par le Concile de Trente en accord avec les Pères de l’Eglise, 1564

L’Eglise avait néanmoins conservé une toute-puissance dont elle abusait, et ses prélats vivaient dans une opulence intolérable dans une France qui crevait de faim. Rappelons de plus que l’Eglise avait mis en place dès le 16e siècle un Index des livres interdits (dont la Bible de Gutemberg…) que la Sainte Inquisition faisait appliquer avec zèle partout où elle pouvait exercer son action (c’est à dire, dans tous les royaumes catholiques), quitte à faire brûler les « hérétiques », comme l’affaire du Chevalier de la Barre l’illustrera suffisamment en 1745.

L’anticléricalisme qui marqua l’après Révolution et tout le 19e siècle s’explique par cette omniprésence de l’Eglise dans les affaires privées et politiques, et le refus de se réformer pour gommer les abus. L’émergence des socialismes puis du marxisme achèveront de convaincre de la nécessité d’écarter les religions de la sphère du Pouvoir pour concrétiser la paix civile, quitte à les supprimer totalement comme Lénine et Staline tenteront de le faire après la Révolution Bolchévique.

La IIIe République est profondément marquée par la Commune de Paris de 1871, et s’inspire dès ses origines de ses expérimentations sociales pour bâtir un Etat-providence prenant en charge beaucoup d’aspects de la vie quotidienne: organisation du travail, organisation de l’éducation, premières tentatives d’établir les standards de la santé publique, développement industriel, technologique et urbain…

page de titre du journal satyrique anticlérical La Calotte, 1903
page de titre du journal satyrique anticlérical La Calotte, 1903

Autant de sujets sur lesquels l’Eglise s’est avérée incapable de non seulement prendre position, mais surtout de s’adapter. Comment un curé aurait-il pu comprendre ses paroissiens qui passaient leurs vies à l’usine ou à la mine, quand lui-même vivait confortablement en étant rémunéré sur les impôts des travailleurs? Le nouveau mode de vie industriel avait en réalité largement acté la laïcité dans la société civile, bien avant 1905, mais la survenance de l’Affaire Dreyfus va relancer la crainte d’un conflit religieux dans le débat public, affaire durant laquelle les désaccords ont largement dépassé le cadre du strict débat pour dégénérer en violences physiques, anticléricalisme (chez les dreyfusards) et antisémitisme (chez les anti-dreyfusards, majoritairement catholiques).

Plus que la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la Loi de 1905 actait la liberté de conscience et l’égalité de dignité de toutes les religions (catholicisme, protestantisme, judaïsme…), c’est à dire arrêtait de cautionner la domination catholique sur les esprits et les âmes, sans pour autant faire la promotion des autres confessions, au prix de l’insatisfaction d’une minorité de gens réellement choqués par cette Loi.

La suite, on la connaît. Hormis la période fasciste au cours de laquelle des dictateurs ont voulu entreprendre le remplacement des religions par un culte de la personnalité voire un néo-paganisme (Allemagne Nazie), la Religion a largement été repoussée dans la sphère privée. Couplé au psychodrame du concile Vatican II, ce recul a amené l’Eglise catholique à quasi disparaître de la sphère publique, hormis dans une frange généralement aisée et/ou issue des vieilles familles de la noblesse française.

Fausse-publicité parue dans le journal Charlie-Hebdo dans les années 1980
Fausse-publicité parue dans le journal Charlie-Hebdo dans les années 1980

Dans les années 1960-70, des journaux comme Pilote, Hara-Kiri ou Charlie Hebdo n’ont finalement fait que tirer sur l’ambulance. L’irrévérence à l’égard des religieux, démarrée avec Voltaire au 18e siècle, a fini par aboutir deux siècles plus tard à une tradition anticléricale ou en tout cas largement déconnectée des religions.

Comment expliquer alors qu’en 2016, on trouve des gens pour nous expliquer que la France est un pays chrétien, ou que l’Europe a des racines chrétiennes?

Il est difficile de déconnecter ce retour en force du christianisme autrement que par l’intrusion dans le débat public de la question religieuse tournant autour de l’Islam. Parce que la France compte 5 millions de musulmans, des hommes politiques en difficulté électorale ont essayé de séduire les pratiquants de l’Islam en leur permettant de s’inviter dans le débat public, par le biais du problème du racisme. En associant les populations d’origine maghrébines à une pratique religieuse, puis en mettant en doute ces pratiques religieuses (Voile…) pour mieux faire semblant de vouloir les contrôler (Création du CFCM à l’initiative de Sarkozy en 2003), ces apprentis magiciens ont fini par faire renaître de ses cendres le conflit interreligieux qui s’était éteint définitivement après 1905, malgré un bref retour sous le régime de Vichy.

Car finalement, c’est bien le fait que l’Islamisme ait été promu (directement ou non) qui a permis au christianisme de renaître à ce point.

Comment peut-on faire confiance à un homme au regard si diabolique?
Comment peut-on faire confiance à un homme au regard si diabolique?

Ratzinger/Benoit XVI (ancien patron de la Congrégation de la Foi, héritière de la Sainte Inquisition) ne s’y était pas trompé et avait profité de l’aura de Jean-Paul II et de sa volonté d’oecuménisme (union dans la Foi) pour réintégrer les groupes intégristes comme les lefebvristes au sein de l’Eglise…

Depuis une dizaine d’années, on voit le retour du discours religieux dans la bouche d’une certaine Droite et d’une certaine extrême Droite. Les fins électoralistes sont évidentes, mais elles récupèrent ainsi à leur profit la peur de l’islamisme et font naître l’illusion que la France a une tradition de proximité avec la chrétienté, c’est à dire l’Eglise Catholique. Or, ce n’est pas vrai, ou en tout cas, ce n’est plus vrai depuis près de trois siècles. S’il ne s’agissait que d’une question de Foi, d’opinion religieuse par essence personnelle ou en tout cas ne quittant pas le cadre familial, il n’y aurait pas vraiment de problème.

Seulement voilà, la Loi sur le Mariage pour Tous a démontré qu’une partie de la population française recommence à adhérer à l’idée que l’Eglise a toute légitimité pour s’inviter dans le débat politique et la vie publique. Comme à l’époque du PACS, lorsqu’en plein débat parlementaire à l’Assemblée Nationale, Christine Boutin avait brandi une Bible, on a pu voir des gens faire appel à la Bible pour justifier leur opposition au mariage gay, en faisant mine d’ignorer que le même texte n’est rien d’autre qu’un pamphlet de haine et un appel au viol et au meurtre envers absolument tout le monde. S’agissait-il pour eux de défendre leur mode de vie? Non, puisque ni leurs droits, ni leurs vies n’étaient et ne sont visés par cette loi-là. S’agissait-il de défendre leur religion? Même pas, puisque le mariage civil n’a rien à voir avec le mariage religieux et que la Loi n’obligeait en rien les prêtres à marier des homosexuels.

On aura surtout retenu de leur croisade anti homosexuels ce spectacle surréaliste qui aurait pu faire rire s'il n'avait pas suggéré des tendances bien plus sombres que le simple burlesque...
On aura surtout retenu de leur croisade anti homosexuels ce spectacle surréaliste qui aurait pu faire rire s’il n’avait pas suggéré des tendances bien plus sombres que le simple burlesque…

Aujourd’hui, ces gens tiennent la ligne en se réfugiant derrière le combat contre la Procréation Médicalement Assistée (fécondation in-vitro et autres) et surtout la Grossesse pour Autrui (débat légitime, mais pas pour des questions d’ordre religieux). Ils n’hésitent pas à se lier avec des partis et groupes qu’ils condamnaient encore il y a peu,  preuve que le retour du religieux est moins le retour d’une Foi qu’une réaction identitaire face à la religion islamiste.

Or, l’Histoire a démontré qu’on ne combat pas un extrémisme religieux par un autre extrémisme religieux. Nos guerres de religion ont duré des décennies et n’ont rien résolu. Seule la reconnaissance des deux côtés de la nécessité de la Concorde a pu dénouer le conflit, et seule la séparation stricte des Eglises et de l’Etat a permis à la France d’être enfin en paix. Plus que jamais, il est nécessaire de défendre la Laïcité et de refuser l’intrusion des religieux dans nos vies, dans notre politique et dans notre société.

Ce n’est pas en rejoignant l’Eglise catholique, ou en rejoignant les fidèles de pseudo-religieux comme Morgan Priest que vous ferez reculer la religion musulmane, mais bien en refusant toutes les religions et en protestant à chaque fois qu’un de nos soi-disant hommes politiques prétendra faire appel aux religieux pour résoudre nos problèmes. Les Religions n’ont jamais rien résolu et n’ont généré que des conflits sanglants.

Voilà pourquoi la France n’est pas chrétienne mais laïque et ses traditions sont plus anticléricales qu’autre chose.

N'oubliez jamais
N’oubliez jamais que juifs, chrétiens et musulmans ont le même Dieu. Le même.

 

3 réflexions sur « La France est-elle un pays chrétien? »

  1. Je tombe sur cet article par hasard.
    Votre analyse est vraiment très légère et vous amalgamez tous les sujets (guerres de religion, mariage pour tous, islamisme).
    Certes la France est un pays laïque où la liberté de conscience est protégée et ou la religion relève de la sphère privée. Mais c’est un pays chrétien dans son identité, dans son histoire, dans ses racines.
    En tant que professeur, je suis effarée du manque de culture des enfants. Ils ne savent même pas ce qu’est le Carême et la fête de Pâques ! Que leur apprend-on à l’école??? L’histoire semble survolée, on dirait… Je parle de cela car je suis en train d’étudier avec eux des Leçons de Ténèbres de grands compositeurs baroques. C’est un genre musical très important au 17e siècle. Je suis obligée de leur expliquer ce que c’est que le jeudi saint, le vendredi saint, le samedi saint, la Passion. Comment comprendre la musique sans la religion??? La religion c’est notre culture. Si vous étudiez la civilisation arabe, vous prenez en compte le fait religieux. Vous ne pouvez pas l’éliminer et faire abstraction. C’est pareil pour le France et l’Europe d’ailleurs.

    Je ne comprends pas que l’on rejette à ce point le christianisme. Culturellement, c’est une religion essentielle à la compréhension de notre art, de notre société, de nos mentalités. Vous ne pouvez pas gommer deux mille ans de christianisme en quelques dizaines d’années ! Le christianisme est inscrit en chacun des français, qu’on le veuille ou non. Notre manière de penser, de nous exprimer…

    Il n’y a pas de « retour en force » du christianisme ces derniers temps: le christianisme n’a tout simplement jamais disparu. Vous confondez foi personnelle, domestique (qui elle, est certainement en baisse par rapport aux siècles passés) avec la culture chrétienne qui est et restera toujours présente.

    1. Au fond, vous reconnaissez vous-même que la France n’est plus chrétienne puisque ses enfants sont totalement ignares de ces traditions.
      Mais il me semble que nous ne parlons pas de la même chose. Vous parlez de la France en tant qu’abstraction, cette grande idée nationale qui a pris plusieurs formes à travers l’Histoire, quand je parle de la France, la République.
      Oui, le fond culturel français repose sur un socle indéniablement chrétien, et même catholique. Qu’il s’agisse de la littérature médiévale ou de la musique Baroque, ou même dans la science historique ou politique, tout est basé sur les idéaux, les traditions et les rites chrétiens. Il suffit de voir la commotion produite par l’incendie de Notre-Dame pour attester de cet attachement à l’Histoire et à ce fond culturel.
      Mais en ce qui concerne la pratique cultuelle, elle a pour ainsi dire disparu ou presque. Plus personne aujourd’hui, et depuis longtemps d’ailleurs, ne pratique le carême, en dehors d’une frange marginale (et marginalisée) de la population française. La messe de Minuit, les fêtes mariales, le rosaire, toutes ces pratiques rituelles et cultuelles qui marquent la vie chrétienne au long de l’année, ont totalement disparu des esprits. L’Eglise n’y est d’ailleurs pas pour rien, même si c’est un autre débat.
      Mon article, rédigé en 2016, se voulait être un rappel d’un état de fait, à un moment où des « prêcheurs » se livraient à une récupération des frustrations d’une partie des jeunes (et moins jeunes) français: nous sommes dans une France, une république largement anticléricale, qui moque les chrétiens et les laisse subir des attaques meurtrières ou incendiaires sans chercher à les arrêter ni les prévenir, et ce, depuis bien avant l’épisode de violence jihadiste ou « déséquilibrée » que nous connaissons depuis 2015.
      Je ne m’en réjouis pas, même si à travers certains de mes écrits je peux donner l’impression d’être moi-même anticlérical. Ça ne m’empêche pas d’être un grand admirateur de Dante, Milton, et quelques autres, ni de prendre mon statut de parrain au sérieux. Ni d’écouter avec grand plaisir de la musique sacrée.

  2. C’est intéressant comme essai, même si je suis loin d’être d’accord avec tout ce que vous dites.
    Quand on entend « la France est un pays chrétien », c’est pour dire que ses valeurs, son identité et son histoire sont chrétiens, et bien que la religion soit passée au rang d’accessoire, elle reste très présente dans la vie et le sang des français. Des Eglises au centre des villages jusque dans la façon de penser et de pardonner, elle fait partie de nous.

    On ne peut pas arriver et dire: « c’est laïque, on fait ce qu’on veut, on impose nos valeurs et notre présence et votre histoire c’est du passé, maintenant on est là ».
    La culture arabe est très différente de la culture des européens. C’est là le problème.
    Les Français de souche sont chez eux, dans un pays historiquement chrétien et ne sont pas dans un pays dont l’histoire est bercée par l’islam à ce que je sache.
    En quoi on devrait changer notre culture pour celle de l’islam et des arabes ?
    C’est à eux de s’adapter à la France et son histoire, pas à la France de s’adapter à leur culture.
    Ils voudraient transformer la France pour qu’elle ressemble à leur culture. Ce n’est pas comme ça que ça marche, c’est irrespectueux et inacceptable, d’où le rejet de la greffe.

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