Ecrire au 21e siècle (3)

Piquée chez http://www.thecatwhowrites.com parce que j’ai la même Remington 12 modèle 1920 sur mon bureau et que j’ai trouvé ça cool.

Je ne sais pas pourquoi, ces derniers temps, je n’arrête pas de lire des articles sur les droits d’auteur, le fric que génère l’écriture et tout ce bazar. Sérieusement, avant de penser argent, écrivez déjà quelque chose de potable. Ca ne se fait pas du jour au lendemain, et vous avez énormément de boulot, pour ne serait-ce qu’apprendre à donner envie de lire votre histoire à un lecteur qui n’en connaît rien et qui ne vous connaît pas. Non, vraiment, parler fric dans l’écriture, ça me dérange énormément. D’une part, parce qu’on fait croire aux auteurs qu’ils seront des rock-stars du livre. L’histoire larmoyante de J.K. Rowling, les histoires de succès inattendus, etc, oubliez. Ca ne vous arrivera pas. Vous ne ferez pas fortune en écrivant. Je le répète: vous ne ferez pas fortune en écrivant. Si vous êtes capable de me citer un seul écrivain qui a fait fortune  et dont on se souvient encore cinquante ans (vingt ans?) après son succès, je vous tire mon chapeau. Moi, je n’en vois pas. Et d’autre part, parce que ça permet à des salopards comme Edilivre de se faire un blé monstre avec des contrats mirobolants mais truffés de subtilités juridiques qui font que vous gagnerez pour ainsi dire que dalle, même si vous vendez 10 000 exemplaires de votre truc.

Si vous écrivez pour l’argent, il y a un problème, j’ai déjà eu l’occasion de le dire. Si vous pensez ça, alors vous n’avez rien compris à ce qu’est ce métier, à ce qui fait son essence si particulière. Si vous voulez faire du fric, écrivez des histoires de cul vendues en autopublication, c’est ce qui marche le mieux. Mais pas sûr que vous en vivrez. Franchement, il n’y a pas cent auteurs qui vivent uniquement de leur plume en France. Et même comme ça, ils n’en vivent pas pendant les 42 ans que sont sensés durer une carrière professionnelle désormais. Alors oubliez. L’écriture, ça ne nourrit pas.  Si vous voulez en vivre, tournez-vous vers une carrière de journaliste, vous aurez au moins le SMIC et une mutuelle…

Le principe de l’écriture, c’est de laisser une trace dans les mémoires. Transmettre une histoire à autrui, en espérant qu’elle vous survive. Toute vos belles fortunes seront dilapidées et ne permettront pas à votre nom de résister aux affres du temps. On fête cette année le 750e anniversaire de la naissance de Dante Alighieri, LE poète italien qui a donné naissance à la littérature italienne. Il n’était pas riche. Il ne vivait pas de sa plume. L’ironie de l’histoire, c’est qu’aujourd’hui, son portrait orne les pièces de deux euros italiennes, et que des séries spéciales sont frappées en son honneur. Je ne sais pas vous, mais l’idée d’avoir ma tronche sur des pièces de monnaie parce que jai écrit un truc qui a résisté aux siècles m’émoustille beaucoup plus que de faire une fortune (« ouaiiiis 10 000 euros de droits d’auteur! incroyable!« ) que je vais claquer en un rien de temps avec des bouquins qui seront oubliés dans dix ans…

Tiens, prenons un exemple concret: vous trouvez un éditeur pour votre roman, qui en fait un livre de 400 pages vendu 20 euros TTC. Vous touchez en principe 10% du prix de vente en terme de rémunération (« droits d’auteur » constatés chez la majorité des éditeurs papier), soit 1,90 euros par bouquin vendu (oui, les 10% c’est sur le HT, vous devez donc enlever 5% du prix de vente en magasin). Sachant qu’un bouquin est considéré comme s’étant bien vendu à partir de 500 exemplaires, vous toucherez, si vous avez rencontré le succès, 950 euros. Oubliez les volumes de vente à 100 000 exemplaires, ça n’existe pas si vous n’êtes pas chroniqueur de télévision, ex-femme de président ou amant d’un très bon communiquant.

Pour votre roman, qui vous aura pris quand même pas mal de temps (enfin, en principe, libre à vous de n’y passer que deux semaines et d’écrire des trucs sans intérêt littéraire), et vous aura coûté quelques dizaines d’euros en impression et frais d’envoi, sans parler des 3 mois d’attente pour une réponse, vous aurez moins qu’un SMIC. Et il vous en faut 12 pour tenir un an. Sachant qu’en plus, vous n’êtes en principe rémunéré qu’une fois par an…

Donc, si vous parlez fric dans le domaine de l’écriture, OUBLIEZ. Vous n’avez rien compris. Ouais, c’est vrai que c’est la merde de passer trois mois sur son texte, tout ça pour des nèfles. Et vous n’avez pas de mutuelle, ni d’avantages sociaux et encore moins d’indemnités chômage (après, vous ne paierez probablement pas d’impôts, parce que vous serez probablement sous le seuil de pauvreté).

Je lis régulièrement que les éditeurs sont des salauds qui s’en foutent plein les poches sur le dos des auteurs. En réalité, s’ils gagnent en théorie le double de ce qu’ils donnent à l’auteur (soit environ 4€ si on suit l’exemple que j’ai donné), ils assument le coût d’impression de votre bouquin. Et là, ça commence à douiller. D’une part, parce qu’il faut rémunérer le relecteur qui va corriger vos fautes. Ensuite, il faut payer la personne qui va le faire passer du format word au format d’impression (et c’est pas juste un copier coller…), puis rémunérer le type qui aura fait l’image de votre couverture. Puis l’imprimeur, quand même. Je ne parle même pas de l’éventuelle campagne de pub autour de votre bouquin pour qu’il se vende pas trop mal. Bref, si vous gagnez des nèfles, l’éditeur, lui, ne gagne pour ainsi dire… rien. Pas avec votre bouquin, en tout cas. Sa marge, il se la fait sur les auteurs célèbres qui permettent un tirage à 100 000 exemplaires minimum, et ce n’est pas acquis, même pour une célébrité. Pour tout vous dire, la fameuse « autobiographie » de Messi (le footballeur suffisamment célèbre pour que j’en connaisse le nom et que je sache qu’il a sorti un bouquin probablement rédigé par un autre) s’est vendue à… 6500 exemplaires. Pour un mec qui génère des millions pour son club de foot, c’est quand même pas génial (Zlatan a fait les 100 000, au moins), surtout quand on sait que son éditeur avait tablé sur un nombre de vente à au moins 5 chiffres et avait donc fait imprimer des palettes entières de ce bouquin. Hé oui, les éditeurs ne rentrent pas toujours dans leurs frais, et les gains des Goncourt ou des succès surprises façon Stéphane Hessel, ou les bouquins à succès façon Zemmour ou Nabila, ça ne compense qu’à peine les pertes sur les dizaines d’autres bouquins d’anonymes qui sont publiés chaque année.

Alors libre à vous de croire au père Noël. Il y a des gens qui jouent au loto à chaque tirage en espérant qu’ils vont finir par gagner (et plus ils sont désespérés financièrement, plus ils ont tendance à espérer). Si vous pensez que vous vivrez de votre plume, et que vous pouvez avoir des revenus décents parce que vous êtes écrivain, malgré tout ce que j’ai pu écrire ici, comme d’autres l’ont fait un peu partout, c’est votre choix. Si on laisse des gens adhérer à la secte des Raéliens, il n’y a pas de raison de vous empêcher de croire que vous vivrez de votre métier littéraire, même si je pense que vous gagnerez plus d’argent en monétisant des photos de vos fesses sur internet…

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