Si j’avais réfléchi à ce qui va suivre il y a deux ans, j’aurais certainement écrit un article très noir, désespéré et dépressif. Je n’étais vraiment pas dans les bonnes conditions pour écrire, avec un couple englué dans le rejet inavoué de l’autre et une situation financière assez précaire (sans être catastrophique, loin de là). J’aurais énuméré toutes les raisons imaginables pour me rassurer moi-même et conclure qu’écrire de la littérature, qu’elle soit de genre, de gare ou de tête de gondole avec ruban rouge Goncourt, c’était un mirage inatteignable et verrouillé par quelques pseudo penseurs-maîtres à penser.
C’est fou comme le milieu dans lequel on évolue peut influer sur notre humeur et notre créativité, hein?
Non parce que mine de rien, tout ce que j’aurais pu écrire de plus négatif s’est révélé aussi illusoire que les rêves de grandeur qu’un débutant peut entretenir sur ses œuvres. Et ce, même pas six mois plus tard, quand mon couple a finalement (et heureusement) explosé et que j’ai signé mon premier contrat d’édition chez House Made of Dawn. C’était pas un super contrat de la mort pour un super texte à succès, mais c’était un premier pas vers un début de carrière d’écrivain de l’imaginaire. Caucasus a rencontré un petit succès critique, est même passé dans l’émission littéraire Rêves & Cris (#32 du 14 mars 2014) sur la chaine NoLife. En tant qu’auteur, lire des critiques positives et voir une novella qu’on a écrit en pleine tempête (météorologique comme sentimentale) passer dans une émission de télévision, même si c’est une petite chaine du câble, ben… ça fait quelque chose. Et quand le succès a été réédité avec Werwolf en août 2014 (si ça vous intéresse, foncez parce qu’House Made of Dawn ne l’exploitera que jusqu’en août 2015), ça a confirmé ce que je pensais.
Ecrire, c’est avant tout un acte qu’on accomplit pour soi.
Pas pour le fric. Pas pour les autres. Pas pour la gloire. Nan, c’est pour soi, avant tout. Il ne s’agit pas d’entretenir son égo en se massant le nombril comme on caresserait un téton de Vénus, même si certains aiment à le croire et à le faire croire. Il s’agit surtout d’avoir la satisfaction de créer quelque chose, de le tirer du néant de l’esprit pour le façonner par l’imagination et en faire quelque chose qui aura son existence propre et aura un écho particulier chez d’autres. C’est saisir une idée flottant dans l’Ether pour lui donner une matérialité. Bref, d’être ni plus ni moins qu’un Dieu présidant à la destinée de ce qu’il a conçu et façonné avec amour et parfois avec haine (difficile de parler d’amour après trois mois d’insomnies au terme desquels on balance nos brouillons à la corbeille pour tout recommencer… avant d’aller courir dans les poubelles pour récupérer ce qu’on a jeté).
Etre édité n’est pas difficile. Franchement, il y a des tas de maisons d’édition partout, que ce soit en papier ou en numérique. Et si il le faut, on peut même créer la sienne. L’histoire de l’édition, c’est l’histoire des gens insatisfaits des éditeurs et qui ont décidé qu’ils pourraient faire mieux (et à raison, en plus). Le plus difficile, c’est d’écrire un truc publiable, c’est à dire viable commercialement parlant pour un éditeur qui assume l’intégralité des coûts d’un ouvrage, que ce soit en terme de mise en page, de correction, d’impression, de distribution, de promotion ou parfois de stockage et de pilon quand ça ne marche pas en librairie. Tout ça je le sais bien, puisque des bouquins impubliables, j’en ai écrit 4. Deux ans et quelques d’insomnies et de nuits blanches pour des ouvrages qu’aucun éditeur sain d’esprit ne voudra publier, parce que ce sont typiquement des ouvrages kamikazes. Quiconque a lu mon Liber Satanis reconnaîtra que ce n’est pas le genre de texte qui peut intéresser grand monde. Je le sais, je l’ai écrit. Et maintenant, Sombre Plume le publie via amazon en print-on-demand.
Publier son bouquin, c’est facile. Trouver et toucher son public, ça l’est moins. Mais qu’est-ce qu’on peut bien en avoir à foutre? A la base, en principe, quand un écrivain commence à écrire, ce n’est pas pour remplir son frigo, c’est pour vider (désencombrer) son esprit et son imagination. Et maman n’est pas une lectrice, dites-le vous bien (pareil pour papa, ne vous faites pas d’illusions). S’il le faut, faites-vous un poster que vous placarderez en face de vous pour bien vous le rentrer dans le crâne. Quand j’ai commencé à écrire, en 2003, personne ne lisait ce que j’écrivais. Ça a perduré comme ça pendant plus de dix ans. Bien sûr il y a eu quelques lecteurs qui m’ont permis d’affiner certaines techniques par leurs avis et conseils mais même mon ex-compagne n’a jamais daigné lire une seule ligne de ce que je pouvais écrire en presque neuf années de relation. J’ai voulu jeter l’éponge, plusieurs fois, mais j’ai persisté parce que de toute façon l’écriture et les muses ne vous laissent pas le choix. Et onze ans après m’être dit « je vais écrire un truc », me voilà un peu partout sur les plate-formes de vente culturelles.
Je me suis toujours dit « je suis écrivain, mais je ne roulerai jamais en Mercedes ». Devinez quoi? La vie a ça de comique que je viens de m’en payer une. Pas le dernier modèle, bien sûr, et pas uniquement grâce aux revenus que je tire de mes écrits, mais exactement le genre de voiture qui va finir par me valoir un contrôle fiscal à un moment ou un autre. Etre écrivain n’est pas une question de riche ou de pauvre, de vieux ou de jeune, de parisien ou de provincial. Vous êtes écrivain parce que vous êtes écrivain, pas parce qu’on vous le dit, pas parce qu’on vous édite, pas parce que vous vivez de votre plume. C’est comme être homo, juif ou russe*: c’est une identité, pas un truc acquis (mais ça empêche pas de le travailler, hein, bien au contraire)
Alors n’écoutez pas les vieux aigris et les dépressifs quand ils vous disent que l’écriture c’est une galère sans nom qui vous rendra alcoolique ou drogué, pour qu’au final les éditeurs vous préfèrent d’autres auteurs avec qui ils copinent, ou qui jettent l’éponge et vous découragent parce que de toutes façons il y a trop d’auteurs en France pour un marché saturé avec des lecteurs qui lisent de la merde plutôt que des vrais artistes (c’est à dire: eux). On s’en brosse le nombril avec le pinceau de l’indifférence, de tout ça. Baudelaire et ses Fleurs du Mal, c’est un tirage à 1300 exemplaires pour la première édition, dont une bonne partie n’a été vendue qu’à la suite du procès que le recueil a provoqué. Les Poèmes Saturniens de Verlaine ont d’abord été publiés à compte d’auteur. Notre Dame de Paris de Victor Hugo a été tiré à 1100 exemplaires et a été descendu en flammes par Honoré de Balzac.
Alors rien à foutre des autres. Bossez vos textes, jusqu’à ne plus pouvoir les sacquer en peinture. Qu’ils plaisent à un éditeur ou pas, ça ne vous empêchera jamais d’écrire, encore et encore, jusqu’à votre mort s’il vous en prend la folie. Ecrire n’est pas un combat ou un sacerdoce, c’est un acte créateur accompli dans la joie et l’enthousiasme.
Et comme pour les enfants, dites-vous que si vous en faites pour la gloire ou les allocs, c’est qu’il y a un problème dans votre démarche et que vous feriez mieux de tout repenser avant qu’il ne soit trop tard.