Le 9 septembre 1922 commençait la tragédie de Smyrne.
Ville sous administration grecque depuis le démantèlement de l’Empire
Ottoman, du 15 mai 1919 jusqu’au 8 septembre 1922 à 22h, elle passe à
cette heure-là (décidée administrativement, ce qui permettra de lancer
des opérations d’évacuation) sous la domination des « nationalistes »
turcs, ceux-là même qui sont responsables du génocide arménien.
Pendant 4 jours, ils vont se livrer sur les civils à des massacres, pillages, viols, tortures, sans aucune retenue et selon les témoignages, avec une intolérable cruauté, avant d’incendier la ville pour la réduire en cendres, le 13 septembre. Les deux-tiers de Smyrne seront ainsi détruits (les quartiers turcs seront laissés intacts, tandis que les quartiers juifs ne seront que très peu touchés, contrairement aux quartiers grecs et arméniens qui seront réduits à néant), les troupes turques bloquant les sorties de la ville pour empêcher les survivants d’échapper aux flammes. La ville comptait près de 400 000 habitants, dont 165 000 turcs, et comptait 150 000 grecs, 25 000 juifs, 20 000 européens dont 3 000 français, et 25 000 arméniens auxquels s’ajoutaient des milliers de réfugiés rescapés du génocide et tous les européens ayant trouvé refuge dans la ville pendant les 3 ans de guerre greco-turque. La moitié (estimés à plus de 100 000, le New York Times du 17 septembre 1922 parlera de 200 000 morts) vont périr dans des circonstances atroces. Toutes les victimes seront non-turques.
Les troupes britanniques et surtout les troupes françaises, venues tenter d’évacuer les populations civiles, décriront des scènes d’apocalypse et seront témoin d’exactions (comme le martyr de Saint Chrysostome de Smyrne) contre lesquelles les soldats ne peuvent rien, ayant reçu l’ordre formel de ne pas intervenir pour préserver la neutralité de leur pays. Les navires de secours ne parvenaient souvent pas à entrer dans le port, tant il y avait de cadavres flottant dans l’eau: leur masse gonflée et pourrissante était telle qu’elle suffisait à les repousser par leur seul nombre.
Un certain nombre de récits ont été publiés à l’époque pour relater les faits, de façon extrêmement édulcorée mais déjà suffisamment éloquente. On peut en trouver un certain nombre ici: https://archive.org/stream/martyrdomofsmyrn00oecoiala…
Les turcs nationalistes (un qualificatif trompeur: leur nationalisme n’était pas un « panarabisme », mais un islamisme pur et dur) surnommaient la ville « Smyrne l’Impure » ou encore « Smyrne l’Infidèle », parce qu’elle était historiquement un havre de relative tolérance où populations chrétiennes, juives et musulmanes vivaient en relative cordialité, sans toutefois se mélanger. L’arrivée des turcs va changer radicalement tout ça: ils renommeront la ville Izmir, et déporteront 30 000 rescapés vers l’intérieur du pays, au cours d’une « marche de la mort » où presque tous périront, soit exécutés, soit d’épuisement (ils n’avaient ni eau ni nourriture, devant se contenter de ce qu’ils trouvaient parfois en chemin).
La marine grecque, revenant dans la ville le 24 septembre, évacuera 180 000 personnes, la plupart arrivées après le massacre pour fuir le pays. En 1923, la Grèce et la Turquie procèderont à des échanges de populations. Après le massacre, que les turcs appellent « la Glorieuse Reconquête d’Izmir », un recensement en 1927 établit la population d’Izmir à 185 000, composée à 88% de turcs (dits « musulmans » dans le recensement), le reste étant ultra-majoritairement juifs. Comme le notera plus tard l’historien Giles Milton (dans « Le Paradis Perdu – 1922, la destruction de Smyrne la Tolérante »), 3000 années de présence grecque en Anatolie venaient de trouver une fin brutale, Smyrne devenant le symbole sanglant de la destruction de tout un monde qui n’existera plus jamais.