A l’occasion de la sortie de Werwolf, j’ai posé quelques questions à Tiephaine pour nous présenter la dernière parution de Sombre Plume et nous parler un peu de ses projets.
Werwolf est sorti il y a quelques jours chez Sombre Plume. Il s’agit de la réédition de ton deuxième texte paru chez les éditions numériques House Made of Dawn en 2014. Il s’agit d’une histoire de loup-garou sur fond de seconde guerre mondiale, un sujet doublement piégeur dont tu t’es tiré avec brio en développant une histoire qui n’a à la lecture aucun arrière-goût de déjà-vu. Peux-tu nous en dire un peu plus?
T.G.S.: Werwolf est une novella un peu particulière parce que c’est ma seule incursion jusqu’ici dans la mythologie classique de l’angoisse/horreur. Je suis d’ordinaire plutôt lovecraftien, j’ai tendance à préférer l’horreur indicible et cosmique à des archétypes plus classiques comme le vampire ou le lycanthrope. Mais Werwolf c’est aussi et avant tout une histoire de tankistes en déroute au cœur du front de l’est en pleine guerre mondiale. Les loup-garou, c’est un petit « plus » fantastique à une histoire qui se veut réaliste au maximum.
Effectivement, on sent qu’il y a un énorme travail de recherche en lisant ton texte et un souci du détail un peu déroutant quand on n’y connait rien… Mais le résultat c’est qu’on est vraiment au cœur de l’action, avec tes personnages: comme le disait une des critiques parues à l’époque, on a froid et faim avec eux, et on ressent une vraie angoisse quand ils sont confrontés à leurs ennemis. Comment t’est venue cette histoire et pourquoi avoir choisi de mettre en scène des soldats allemands plutôt que des soviétiques ou des américains?
T.G.S.: D’ordinaire, je ne fais que développer une idée que j’ai eue après un cauchemar. C’était le cas avec Caucasus et Agartha (NdR: qui sera prochainement publié chez Sombre Plume) ou pour d’autres textes plus courts comme Walpurgisnacht qui accompagne Werwolf. Mais pour ce dernier, c’est un peu différent: l’idée m’est simplement venue au cours d’une partie vraiment intense sur un jeu en ligne où on s’affronte à coups de blindés de la seconde guerre mondiale, et au milieu du duel qui déterminerait le vainqueur de la partie, le cœur battant et les veines gonflées d’adrénaline, j’ai réalisé que les hommes et femmes qui ont vraiment vécu des guerres à bord de leurs chars ont dû ressentir des émotions terriblement plus intenses, et en particulier la peur. A l’origine, j’avais conçu une histoire mettant en scène des tankistes ayant commis des crimes abominables et se retrouvant chassés par une bestiole monstrueuse. Mais ça ne fonctionnait pas vraiment, et en commençant l’écriture je me suis vite retrouvé confronté à des limites à la fois techniques et morales: à la base, je voulais mettre en scène de vrais enfoirés qui se retrouvaient « punis », mais dans ce genre d’histoire il ne peut pas y avoir d’attachement aux personnages, sauf à vouloir atténuer leur responsabilité. C’est la dernière chose que je voulais: rendre « humains » des criminels de guerre, surtout dans un contexte aussi terrible qu’a pu l’être le front de l’est. Quand cet embryon de texte est devenu Werwolf, j’ai naturellement conservé les soldats allemands plutôt que des soldats soviétiques parce que je voulais garder cet aspect « culpabilité ». Surtout, si mon texte met en scène des soldats allemands, il met aussi en scène un sixième personnage, le char Tigre Fenrir.
Fenrir c’est en effet le fond de toute l’histoire, que tu décris avec un luxe de détails…
T.G.S.: C’est à la fois un personnage et un décor, il fallait donc que je sois très précis dans ce que je décrivais. J’ai passé des heures dans mes bouquins et sur internet pour trouver des infos sur la vie à bord d’un char et sur comment l’espace y est aménagé, mais j’ai surtout eu la chance de vivre à ce moment-là à quelques kilomètres du musée des blindés de Saumur, qui justement accueille l’un des derniers chars Tigre encore existant. J’ai pris contact avec eux pour savoir si il était possible de le visiter, sachant très bien que normalement c’est impossible, pour des tas de raisons de responsabilité et d’assurance, mais à ma grande surprise, ils m’ont répondu favorablement et vraiment enthousiastes. J’ai donc eu droit à une visite privée du Tigre, du Tigre II, du Jagdtiger et du SU-100 avec un de leurs techniciens, après avoir simplement adhéré à leur association. J’ai vraiment ressenti comme un privilège de pouvoir rentrer dans ce char qui a réellement combattu il y a 70 ans. L’odeur d’huile et de métal prend encore à la gorge et même si la quasi-totalité des équipements ont été retirés, je peux vous dire que l’intérieur est vraiment étroit. L’expression « cercueil de métal » est littérale, et je crois que l’humilité et le respect que j’ai ressenti pour tous ces hommes et femmes qui vivent et meurent dans ces chars, encore aujourd’hui, m’a aidé à vraiment rédiger une histoire qui tient la route.
Quand ton texte a été publié chez House Made of Dawn il y a deux ans et demi, il t’avait été reproché de ne pas avoir inclus des notes de bas de page pour expliquer certains termes que tu emploies. As-tu écouté tes lecteurs et inclus quelques explications?
T.G.S.: En fait, non. A l’époque, j’avais envisagé mon texte comme s’adressant à plusieurs publics, simples amateurs d’horreur comme connaisseurs des chars de combat. L’un des reproches qui m’avait été fait sur Caucasus était de casser le rythme de l’histoire avec un procédé d’écriture particulier, et j’avoue ne vraiment pas avoir voulu faire face à ce genre de reproche pour de simples notes explicatives. Werwolf fonctionne parce que c’est un texte d’immersion, mettre des notes de bas de page aurait cassé cette dynamique de lecture, même si je suis bien conscient que le fait de se retrouver face à un mot qu’on ne connaît pas peut aussi casser une atmosphère. Maintenant, la plupart des termes en question sont des termes techniques dont l’incompréhension ne nuit pas à l’histoire. On comprend par exemple assez facilement que la couche de Zimmerit qui recouvre Fenrir est un revêtement particulier servant au camouflage et à la protection du char. J’ai essayé au maximum de mettre l’explication des termes non pas dans des notes hors-texte, mais dans le texte lui-même. Le seul qui m’a posé un peu plus de soucis était le Wolfsangel, pour lequel on a eu recours à un petit artifice sur la couverture avec Elora (NdR: qui travaille sur la conception graphiques des ouvrages publiés chez Sombre Plume).
Justement, il y a eu quelques discussions à ce sujet: ne crains-tu pas qu’on associe Werwolf à des mouvements néo-nazis, étant donné la présence de ce Wolfsangel et les articles que tu publies parfois?
T.G.S.: on en a pas mal discuté avec Elora en effet, et c’est quelque chose que j’appréhende un peu étant donné le drôle de monde dans lequel on vit aujourd’hui et dans lequel tout semble prétexte pour accuser autrui d’être un néo-nazi. Mais précisément parce qu’on m’a accusé d’être un néo-nazi sous des prétextes aussi cons que le fait que je mange de la viande, ce genre d’accusation n’a plus vraiment d’impact sur moi. C’est l’histoire de Pierre et le Loup: à force de crier à tort et à travers, plus personne n’écoutera le jour où ça viendra vraiment et de fait, ce genre de critique tend à faire perdre toute crédibilité à celui qui s’y amuse. Pour en revenir à la question du Wolfsangel sur la couverture de Werwolf, c’était un peu plus délicat parce que là, pour le coup, c’est vraiment un symbole nazi, utilisé régulièrement comme marquage sur les véhicules et sur certains insignes comme celui de la division SS « Das Reich » responsable entre autres du massacre d’Oradour-sur-Glane. Plus proche de nous, il est actuellement utilisé par le régiment de volontaires ukrainiens « A3OB » (« Azov ») dans le Donbass, et ces gens là ne sont pas simplement nationalistes comme on veut bien le dire, puisqu’ils utilisent le Wolfsangel sur un Soleil Noir, un symbole SS qui était au cœur de la mythologie mortifère mise en place par Himmler et qu’on retrouve au cœur du Wewelsburg, le château-monastère de l’ordre SS. Effectivement, on prend peut être le risque d’être associés avec des gens comme ça si on se limite à un jugement au premier coup d’oeil, mais en même temps… Werwolf est une histoire de soldats allemands menés par un ex-SS, bref une histoire qui met en scène sinon des nazis, au moins des gens qui évoluaient dans ce milieu-là et emploient des termes typiques comme « untermenschen » ou « sous-hommes » pour parler des soviétiques. Bref, si on ne peut pas légitimement utiliser un Wolfsangel pour eux, alors que c’est le truc le plus légitime qui soit, je ne vois pas trop ce qui nous différencierait d’une dictature où la censure idéologique est partout sous prétexte de « lutter contre les vilains »… Werwolf est une fiction, dont l’action se déroule dans un temps et un espace indéterminés sur le front de l’est pendant la seconde guerre mondiale, et rien d’autre. Ceux et celles à qui ça poserait un problème n’ont qu’à lire mon histoire pour se rendre compte que je suis loin d’être un sympathisant de ce genre de mouvements…
Caucasus et Werwolf avaient été publiées chez House Made of Dawn, une maison d’édition numérique qui a malheureusement fermé ses portes en juillet dernier. Pourquoi ne pas avoir cherché un nouvel éditeur?
T.G.S.: C’est assez simple en fait. J’ai contacté en 2015 deux éditeurs pour leur proposer Caucasus, Werwolf et Agartha sous forme de recueil, qui devait s’appeler « Les Ombres ». Je savais que les délais seraient assez longs, et qu’il y avait peu de chance que ça aboutisse étant donné que le genre horreur/fantastique n’est pas si populaire qu’on pourrait le croire, sans même parler du problème du caractère non-inédit de deux de mes novela. Le premier éditeur n’a tout simplement jamais répondu, et j’ai dû relancer le second pour obtenir une réponse-type de refus, mes textes « ne correspondant pas à la ligne éditoriale », un foutage de gueule en règle quand on sait que ce même éditeur publie des textes de Lovecraft et consorts. Pour être honnête, je n’avais pas grande illusion concernant leurs réponses, étant donné qu’en France on préfère publier des bouquins d’auteurs morts depuis longtemps, ou Stephen King. Quand on regarde les collections « horreur/fantastique », on voit assez vite qu’on ne publie rien, en France, on se contente de traduire des auteurs anglo-saxons. Pourtant on a des auteurs vraiment bons et originaux. C’était le cas chez House Made of Dawn, qui publiait chaque mois une novela de qualité et qui se démenait vraiment pour faire vivre ce genre en France avec des auteurs français dont plusieurs ont eu des prix dans des festivals littéraires locaux. Pourtant, les gros éditeurs français comme Bragelonne ou Mnémos ne font que nous traduire des romans américains ou republier une énième fois Lovecraft, Masterton, Herbert, Lumley ou Barker. Les auteurs français, on les compte sur les doigts d’une main, et quand ils ne sont pas confinés au seul format numérique, il s’agit d’auteurs connus de SF depuis les années 1970, 1980. Quant aux jeunes auteurs, on ne les retrouve que sur des thèmes à la mode, genre la romance Bit-Lit ou le Steampunk et toutes ses déclinaisons. Alors bien sûr, j’apprécie les auteurs américains, mais les livres que je vois sortir aujourd’hui à 25 boules, je les ai lus il y a vingt piges chez Fleuve Noir pour 50 francs de l’époque. J’avoue que je ne vois pas bien l’intérêt de republier ces textes quand ceux-ci sont encore disponibles en librairie et sont trouvables pour une poignée d’euros et sans aucun mal dans les circuits d’occasion. J’adorerais lire du neuf, mais en dehors de quelques textes chez Le Belial’, le paysage français est vraiment pauvre et désespérant. Sans les petits éditeurs quasi invisibles et qui ne durent généralement et malheureusement pas bien longtemps, il n’y aurait pas de de littérature de genre en France, et en particulier en ce qui concerne l’horreur/fantastique. J’avais donc le choix: soit j’arrêtais d’écrire, soit je publiais moi-même.
Et tu as donc franchi le pas de l’autoédition…
T.G.S.: Oui, c’est une question à laquelle je faisais face depuis déjà un bon moment avec mon Liber Satanis qui est franchement impubliable autrement en raison de sa forme et de son contenu, et jusqu’à récemment, c’était totalement impossible d’envisager quelque chose de concret à moins d’y laisser ma chemise. J’ai d’abord rencontré un imprimeur français et ça s’est très mal passé, la personne que j’ai rencontrée refusant de m’établir un devis avec les options que je demandais. Je me suis retrouvé au final avec un projet papier franchement minable, format poche, couverture souple sans aucune finition ni illustration et avec un papier recyclé de piètre qualité, le tout annoncé à 2000€ hors-taxe pour 200 exemplaires. Qui serait assez dingue pour accepter un truc pareil? Finalement, Amazon qu’on décrie tellement me sauve la mise avec l’impression à la demande, par le biais de leur plateforme Createspace. Le système est assez simple: un client achète un bouquin sur Amazon, qui l’imprime à l’unité et l’expédie dans les 48h. Pour un auteur indépendant, ça ne génère aucun coût en amont, puisqu’il n’y a pas de stock ni d’expédition à gérer, et pour le lecteur, ça autorise la découverte d’ouvrages qui ne passent pas les barrages des « comités de lecture » des éditeurs. Le revers de la médaille c’est qu’on n’a clairement pas le même impact promotionnel et généralement, les gens voient l’autoédition d’un assez mauvais œil pour des tas de bonnes raisons mais aussi des mauvaises: l’autoédition n’est pas le refuge des mauvais auteurs, mais de ceux que le circuit commercial refuse. Il ne faut pas s’attendre à avoir des revenus importants non plus, même si au moins il n’y a pas besoin de courir après puisque la part auteur est versée mensuellement. Maintenant, très franchement, ce que je gagne là me convient très bien, et même si c’est pas grand-chose, c’est toujours supérieur à la marge de 10% offerte par les éditeurs classiques qui ne versent les gains qu’une fois par an. L’important, pour moi, c’était que mes textes soient accessibles, et j’ai vraiment la chance d’avoir Elora pour produire un rendu quasi-professionnel, même si on cafouille encore un peu sur des points de détails. On essaie de faire les choses bien, et jusqu’ici, les premiers retours ont été très positifs.
Nous avons évoqué rapidement Agartha, que tu as écrit en 2015 et qui est encore inédit. Peux-tu nous en dire plus sur ce texte et tes projets chez Sombre Plume?
T.G.S.: Agartha est un roman court qui met en scène une bande d’amis américains qui partent à l’assaut des sommets népalais. Ca ne se passe évidemment pas très bien et leur ascension tourne plutôt en descente aux enfers… C’est aussi une sorte de suite à Caucasus, puisqu’on y retrouve certains personnages, mais cette fois le contexte est totalement différent et les deux histoires sont indépendantes l’une de l’autre. Pour ce qui est des autres projets, on en a vraiment tellement que je ne saurais pas tous les évoquer. Dans les tuyaux, on a déjà la publication sur un an des trois premiers tomes d’Ecclesia, un de mes projets qui reprend la forme du Liber Satanis et a pour thème la naissance de la religion chrétienne et sa diffusion. Nous devrions également publier prochainement le premier ouvrage d’Elora consacré à sa vision très personnelle de la « Magie du Chaos », qui comme son nom ne l’indique pas relève plutôt de théories relatives à la psyché humaine. Et nous avons aussi ce vieux serpent de mer qu’est la publication de Paradise Lost & Regained de John Milton, avec les aquarelles de William Blake ou encore la publication du Satan de Henri Delpech, l’une des rares épopées poétiques françaises, publiée en 1860-61. Et nous préparons aussi une édition anglophone de nos textes. Sans parler de mes projets d’écriture en cours… Bref, beaucoup de pain sur la planche!