[lu dans l’édition préparée par l’Homme Libre, parue en 2010]
Léon Degrelle est un personnage sulfureux. Catholique militant, puis nationaliste fervent, il devient rapidement fasciste puis collaborationniste, et ira jusqu’à former la Légion Wallonie pour s’engager auprès de la Werhmacht sur le front de l’est dans le cadre de la « Croisade contre le Bolchévisme ». A la fin de la guerre, Degrelle se réfugie en Espagne et y terminera sa vie sans jamais revoir sa Belgique natale, où il fut condamné à mort par contumace.
Les âmes qui brûlent est un ouvrage paru en 1954 en Espagne (1964 en France), où il a connu un destin exceptionnel, avec plus d’une cinquantaine d’éditions. Il se compose de textes courts composés avant, pendant et après la guerre (majoritairement avant). Loin d’être pamphlet politique ou militant, ce livre se lit comme on lit un recueil de poésie ou de philosophie antique. Par bien des aspects, il rappelle Les Travaux et les Jours d’Hésiode, ou les Pensées pour moi-même de Marc Aurèle. Ces textes n’étaient pas destinés à être publiés: il s’agit de réflexions écrites par-ci et par-là, qui n’ont pas de fil conducteur particulier. Léon Degrelle n’est d’ailleurs pas lui-même à l’origine de ce recueil, puisque c’est Gregorio Marañon qui l’a mis en forme et publié.
La beauté et la « pureté » des réflexions ici rassemblées font de ce livre un ouvrage magnifique, très loin du souffre de son auteur. Il vaut vraiment la peine d’être lu, même si l’on est loin de partager les idées de Léon Degrelle. Aucun racisme, aucune intolérance, aucune allusion à quoi que ce soit de politique, ne vient entacher cet ouvrage de la marque d’infamie qui marque les autres textes de Léon Degrelle aujourd’hui.
Un texte à découvrir et qui prouve qu’il est souvent bon de dépasser ses préjugés idéologiques pour découvrir des perles et des trésors injustement ignorés.
Un ouvrage assez typique de la production de cette époque, même si Jean-Pierre Bayard a su aller jusqu’au bout des choses dans son enquête.
D’un côté, un sujet « sulfureux », les « tribunaux secrets de la Sainte-Vehme » qui agissaient dans les territoires allemands du 14e au 15e siècles pour compenser le peu d’emprise de la justice civile sur des contrées largement abandonnées par le pouvoir du fait de la féodalité, et de l’autre, un sujet sulfuré: le national-socialisme.
Le rapprochement d’un sujet « mystérieux » avec le national-socialisme est, je le disais, assez typique de cette période des années 1960-1970. Cathares, Templiers, Teutoniques, Illuminés de Bavière, tout était prétexte à publier des livres pour parler des nazis, même s’il n’y avait absolument aucun lien, ou si ce lien n’était qu’extrêmement vague. C’est ce qui se passe ici: la Vehme et le nazisme n’ont, de l’aveu de l’auteur même, aucune affiliation. Pourquoi persister à en parler? Mystère, mais au moins l’auteur le confirme noir sur blanc, ce que de nombreux autres auteurs n’auraient pris le soin de faire…
Concernant la Vehme elle-même, la matière de ce livre n’est finalement pas si riche, même si elle offre un panorama complet. Sur les quelques 260 pages de ce livre, la Vehme elle-même n’en couvre qu’une soixantaine, l’ordre Teutonique environ 80 et les attentats politiques dans l’Allemagne post-première guerre recouvrent la moitié du livre (pour confirmer finalement qu’aucun lien avec les tribunaux vehmiques n’est identifiable…). Ces pages n’ont de plus pas grand intérêt, parce qu’on y retrouve tout le fatras charlatanesque de l’ésotérisme de pacotille qui a fait la renommée de la fameuse collection « l’Aventure Mystérieuse » qui se poursuit de nos jours sous le nom « l’Aventure Secrète ».
Autant dire qu’on reste largement sur sa faim, d’autant qu’il ne s’agit pas réellement d’un livre d’histoire, mais plutôt d’un livre de vulgarisation. Heureusement, ces 60 pages sont de qualité et fournissent tout de même de bonnes références et les informations principales qu’on attend de ce genre de travail. Ce livre reste, malgré ses 50 ans, celui que j’ai trouvé qui contenait le plus d’informations pertinente sur la Sainte-Vehme: il y a clairement une lacune historique qu’il serait bon de combler par un ouvrage de recherche récentes…
Ce recueil de nouvelles fantastiques est estampillé « d’après Lovecraft », mais je n’en ai pas vu la justification. Certes, on a des éléments lovecraftiens avec ce scientisme et ces entités cosmiques « extérieures », mais ça n’en fait pas pour autant des textes « d’après Lovecraft ». Celui-ci n’est d’ailleurs cité qu’une seule fois sur l’ensemble des textes de Belknap Long.
Le texte le plus important est ici L’Horreur Venue des Collines, mettant en scène l’entité Chaugnar Faughn, un « dieu » maléfique dont l’apparence est dérivée du dieu hindou Ganesha. Les protagonistes sont des archéologues et autres explorateurs travaillant pour le British Museum, et sont confrontés à l’arrivée d’une idole de Chaugnar Faughn depuis les confins des plateaux asiatiques. Seulement, l’idole est maudite, et n’est d’ailleurs pas une idole, mais le dieu lui-même, et les protagonistes devront recourir à la Science pour lutter contre lui. Sans en dire plus, c’est là un grand classique de la littérature d’horreur fantastique, qui n’a d’ailleurs rien de lovecraftien ni encore moins de « cthulhien ».
Dans les Chiens de Tindalos, ainsi d’ailleurs que dans le Passage vers l’Eternité, il est question de drogues altérant la conscience et permettant de voyager dans le temps et l’espace. Là encore, rien de lovecraftien en soi.
La question du « déplacement spatial » est aussi au cœur de la nouvelle Les Mangeurs de Cerveaux, mettant un équipage de navire aux prises avec des entités sous-marines céphalophages.
De manière générale, ces nouvelles sont simplement ce qu’on trouvait dans les pulps et la littérature SFFF jusque dans les années 1970. Elles sont intéressantes à lire par elles-mêmes, même si elles ne révolutionnent pas le genre et souffrent peut être d’une construction qui m’a parue soit trop élaborée, soit trop brouillonne. Les fins sont généralement abruptes, et l’histoire finie, on passe à autre chose sans y penser plus (en tout cas, c’est ce que ça m’a fait).
Frank Belknap Long mérite mieux que d’être simplement considéré comme un auteur « lovecraftien », simplement parce qu’il a échangé quelques lettres avec HPL. Son univers est original et indépendant ,et ces nouvelles le démontrent: on n’est pas du tout dans le pastiche.
Un recueil qui mérite d’être découvert si l’on est amateur des pulps fantastiques, et qui mérite mieux que d’être juste rattaché à l’univers « Lovecraft » élargi, un argument marketing qui devient vraiment de plus en plus irritant.
Un ouvrage très, très moyen, parfait exemple que ce que la « lovecraftite » peut générer dans le monde de l’édition. Certains y verront un hommage à Lovecraft et son œuvre, d’autres y verront un pastiche, d’autres, dont je fais partie, n’y verront qu’un de ces bouquins sans intérêt littéraire rédigé pour profiter de l’aura d’étrange et de fascinant qu’avait l’œuvre horrifique de HPL.
Robert Bloch n’avait probablement rien à prouver en rédigeant son Etranges Eons. Après tout, l’auteur de Psycho avait déjà fait son nom grâce à Hitchcock et avait eu une carrière bien remplie. Il avait connu HPL. Mais ce bouquin n’a tout simplement aucun sens.
L’Histoire part d’un banal achat de tableau, qui s’avère être celui de la nouvelle « le Modèle de Pickman », qui du coup existe pour de vrai. Mais quelqu’un s’en prend aux témoins. Et notre narrateur découvre l’œuvre de HPL, et se rend compte que tout était vrai. Deux autres histoires vont venir se greffer sur celle-ci, avec à chaque fois des gens qui ne connaissaient pas HPL et vont découvrir l’horreur. La rengaine de ce scénario est, honnêtement, usée jusqu’à la corde. On balance par-ci par-là des titres de nouvelles pour démontrer qu’on connait bien son bousin, on écrit qu’en fait tout était vrai, et holala, quelle horreur.
C’est d’un ennuyeux total. Et franchement, ça a été une lecture blasée de 215 pages ennuyeuses à mourir, avec un scénario qui n’en finit plus de prendre des proportions impossibles à partir d’événements banals, et de rebondissements barbants au possible. La 3e partie est tout simplement la pire, et n’a absolument plus rien de lovecraftien.
Un texte sans intérêt et une lecture qui n’apportera rien au lecteur séduit par le travail de Lovecraft.
Un des grands monuments de la Science-Fiction française, laissé inachevé à la mort de son auteur il y a une vingtaine d’années, trouve ici sa complétude grâce à la plume d’une dizaine d’auteurs réunis sous l’égide de Richard Comballot.
Les Galaxiales, c’est un cycle de nouvelles dont l’ambition évoque celle des Seigneurs de l’Instrumentalité: raconter l’histoire future de l’Humanité, sur plusieurs milliers d’années. Michel Demuth avait commencé son cycle en 1965, l’avait poursuivi jusqu’à la consécration du Grand Prix de l’Imaginaire en 1977, malgré une carrière très accaparante. Quelques textes avaient été écrits dans les années 1980 et 1990, mais malheureusement, son décès devait laisser les Galaxiales inachevées, malgré une ébauche des textes qu’il restait à écrire et qui était connue depuis longtemps. C’est grâce à la détermination de Richard Comballot d’achever cette oeuvre en mémoire de Michel Demuth que nous avons aujourd’hui ce volume des Galaxiales complété, ainsi que l’explique Serge Lehman dans sa préface.
La préface comme l’introduction sont excellentes et passionnées et m’ont quasiment convaincu d’aller acheter l’autre volume des œuvres de Michel Demuth (l’intégrale de ses autres nouvelles) avant même d’avoir entamé ce volume-ci. Surtout, ils retracent parfaitement l’histoire des Galaxiales et la vie de leur auteur, et donnent toutes les explications et les assurances sur les circonstances de leur achèvement par des auteurs tels que Ugo Bellagamba, Jacques Barbéri, Christian Léourier ou Dominique Warfa, pour n’en citer que quelques uns.
Les Galaxiales peuvent se scinder en trois parties, reflétant la vie (et « l’après vie ») de Michel Demuth. Le premier tiers du volume est très typé SF et se lit comme tous les classiques de l’époque, auxquels, clairement, Michel Demuth n’avait pas grand chose à envier. La toute première nouvelle de ce volume est d’une grande intelligence, le final est totalement inattendu… Les textes sont intelligents, et dessinent ce fameux avenir de l’Humanité selon la méthode de la « petite touche »: ce n’est qu’un élément de fond de l’histoire, pas son objet.
Le deuxième tiers m’a paru beaucoup moins SF et beaucoup plus « expérimental », là encore dans la mouvance de ce qui se faisait dans les années où ces nouvelles ont été écrites (années 1970). Le meilleur exemple en est la nouvelle « Elle était cruelle », écrite à la deuxième personne, comme dans un de ces livres dont vous êtes le héros. J’ai, personnellement, eu du mal à traverser ces textes, même s’ils restent bons.
Le troisième tiers, enfin, est probablement celui où les amateurs des Galaxiales ont le plus de craintes: difficile, en effet, de reprendre un cycle inachevé après la mort de son auteur, surtout quand on a affaire à un monument comme Les Galaxiales. Le défi est-il donc relevé et surtout, réussi? A mes yeux, oui, sans aucun doute. Les auteurs qui ont repris le cycle ne partaient pas d’une page blanche, et ont tous su inscrire avec succès leurs textes dans la grande fresque élaborée par Michel Demuth. Leurs textes renouent nettement avec la SF, par rapport aux textes du deuxième tiers. Les éléments de fond, les intrigues politiques, les rivalités entre empires, les rencontres du 3e type, la transformation de l’Humanité, tout y est évoqué tel que c’était sensé l’être, tout en développant des intrigues plus localisées et tout à fait intéressantes à suivre. J’ai énormément aimé Chasse en Syrénie de Christian Léourier, qui a vraiment mêlé avec brio une action typiquement SF avec un « fond culturel » qui pour le coup n’était plus vraiment de la « petite touche ». J’ai beaucoup moins apprécié Les Hommes-Soeurs d’Hermonville de Dominique Warfa, mais c’est certainement parce que l’histoire ne me parlait absolument pas, et non parce qu’elle serait ratée.
Dans l’ensemble, ce volume est une très belle découverte, et Kvasar a fait un très beau travail d’édition sur ce titre. Il ne manque qu’une seule petite chose qui je trouve aurait apporté un autre éclairage sur tous ces textes: j’aurais beaucoup apprécié que soit mentionnée la date de rédaction et de première publication des textes de Michel Demuth, qui ont été rédigés sur une période de plusieurs décennies. Pour la prochaine édition, peut être?
Que vous soyez connaisseur ou totalement nouveau face aux Galaxiales, vous pouvez aller les yeux fermés sur ce volume, car vraiment ce monument de la SF française vaut la peine d’être découvert.
Michel Demuth, Les Galaxiales – l’intégrale, éditions Le Bélial’, collection Kvasar, 2022 – 29.90€ ISBN 9782381630670
Ted Kaczynski est à n’en pas douter une personnalité étrange et sulfureuse. Mieux connu sous le nom d’UNABOMBER que lui a attribué le FBI lors de sa traque qui a duré 18 ans, Kaczynski est actuellement enfermé dans une prison haute sécurité américaine, et est atteint d’un cancer en phase terminale au moment où j’écris ces lignes.
Né en 1942, il est très tôt reconnu pour ses talents de mathématicien. Il entre à Harvard à 16 ans puis obtient son doctorat de mathématiques à l’université du Michigan à 25 ans. Spécialisé dans l’analyse complexe des fonctions géométriques, il deviendra dès 1967 professeur adjoint à Berkeley, en Californie. Cette expérience semble le marquer profondément, comme nous le verrons plus loin.
En 1971, Kaczynski plaque tout et part vivre dans une cabane sans eau ni électricité, dans le Montana, sur un terrain forestier semi-montagneux qu’il a acquis. Sa vie publique ne reprendra qu’en 1996, lorsqu’il sera arrêté par le FBI pour avoir envoyé 16 colis piégés à diverses personnes à travers les Etats-Unis. La motivation de ces attentats était de lutter contre la destruction de l’environnement, contre des personnes représentant aux yeux de Kaczynski la société industrielle et ses méfaits. Parmi ses victimes, figurent un étudiant, des vendeurs d’ordinateurs, des professeurs d’université, un publicitaire, le représentant de l’association de sylviculture de Californie…
Kacynski est arrêté en 1996, après la parution de son essai intitulé « la société industrielle et son avenir » dans le New York Times et le Washington Post. Ses idées et ses thèses sont reconnues par sa belle-soeur et son frère, qui alertent le FBI. Il est condamné à la prison à perpétuité sans possibilité de remise de peine en 1998, et comme je le disais, est toujours enfermé à l’heure actuelle.
Au fil des ans, Kaczynski s’est transformé en célébrité voire en exemple dans certaines sphères de la société, en particulier chez les militants écologistes radicaux (en particulier l’éco-fascisme), ainsi que chez une certaine frange de la droite radicale, de façon assez marginale. Son essai, en particulier, est devenu une des références culturelle que l’on voit régulièrement passer dans certains memes, en particulier ses deux premières lignes: « la société industrielle et ses conséquences ont été une catastrophe pour la race humaine ».
Parce que justement cet essai est devenu central dans une certaine pensée idéologique, j’ai décidé de m’y intéresser et d’acquérir l’ouvrage intitulé « The Road to Revolution », publié aux éditions Xénia (Suisse) en 2008, qui rassemble les essais de Théodore Kaczynski et la version « définitive », revue et corrigée, de l’essai « La société industrielle et son avenir ».
La Société Industrielle et son avenir
Cet essai est sans aucun doute l’écrit le plus connu de Kaczynski, même si de l’aveu de son auteur, il n’a absolument rien d’original et est même très superficiel. L’objectif de cet essai n’était pas de poser un programme ni de présenter des idées nouvelles, mais de les faire découvrir à un grand public qui ne les aurait autrement jamais découvertes. Comme l’explique Kaczynski dans le post-script de son essai, il s’agit de donner accès à des idées que les livres de l’époque étaient trop complexes pour être intelligibles par le grand public. Notamment, les oeuvres de Jacques Ellul semblent avoir été sa principale source d’inspiration. Ellul était un professeur d’Histoire du Droit français, qui s’est spécialisé dans les formes de l’aliénation au sein de la société du 20e siècle. Auteur de plus de 50 ouvrages au long de sa carrière, sa pensée est diverse et rend son oeuvre difficilement classable, même si certaines thématiques ressortent régulièrement. Spécialiste du marxisme, dont il a tenu un cours à l’université de Bordeaux pendant une trentaine d’années, Ellul a également tenu de très vives critiques contre la société industrielle aux USA, et en particulier contre ses effets psychologiques sur les ouvriers des grandes usines de production. Ellul a également été l’un des premiers militants pour l’environnement, avant que le mouvement écologiste se transforme en parti politique.
La proximité de pensée entre Kaczynski et Ellul n’est donc pas étonnante, puisqu’elle dérive d’un même postulat: la société industrielle a été une catastrophe pour l’espèce humaine. Kaczynski n’a fait que rendre les idées d’Ellul intelligibles pour le peuple américain.
La forme de son essai n’étonnera pas les habitués des lectures mathématiques: divisé en 232 points, La Société Industrielle et son Avenir (ISAIF, pour « Industrial Society and its Future ») est un essai structuré et relativement concis, rédigé dans un langage simple et accessible, sans jargon scientifique ni idéologique.
Son contenu, en revanche, peut surprendre ceux qui imaginent avoir affaire à un essai environnementaliste, car loin de se focaliser sur ces points, cet essai se veut avant tout une critique très sévère contre le système politico-médiatique qui asservit l’être humain (et, certes, a des conséquences sur l’environnement).
La cible principale de Kacynski présente ainsi deux visages: d’une part, la technologie, dont l’usage et le développement n’a eu de cesse de réduire les libertés humaines à ses yeux, et d’autre part, le gauchisme, qui consitue selon lui une sclérose de la pensée et éteint toute indépendance d’esprit. La conjugaison de ces deux phénomènes entrainera pour Kaczynski une catastrophe d’ampleur pour l’Humanité.
Le gauchisme selon Kacynski
Abordé dès la première partie d’ISAIF, à partir du paragraphe 6, le gauchisme représente pour Kaczynski tout ce que la société industrielle a produit de mauvais, en broyant les êtres humains pour les réduire à l’état de gauchistes, c’est à dire de personnes faibles et vulnérables dont le nombre permet de détourner le système démocratique en leur faveur, du moins en apparence. Le gauchiste est défini comme « toute personne souffrant d’un sentiment d’infériorité », c’est à dire ayant une faible estime de soi, une impression d’impuissance face aux événements, des tendances à la dépression, à l’auto-culpabilisation, au défaitisme, à la haine de soi, etc., de façon plus ou moins réprimée.
Kaczynski explique que ce genre d’individus se retrouve principalement chez les militants des droits humains et des minorités raciales et/ou sexuelles, ainsi que chez les militants des droits des animaux. Pour une raison simple: ces causes où l’on défend les « faibles » sont extrêmement gratifiantes pour l’égo car dans nos sociétés démocratiques et égalitaristes, elles sont facilitées par l’absence d’enjeu réel et d’opposition crédible. Kaczynski explique que ces « luttes » n’auront jamais de fin, parce qu’elles sont nécessaires aux gauchistes pour obtenir le sentiment de puissance dont ils se sentent privés dans leur vie quotidienne. Quels que soient leurs résultats, ils ne seront jamais suffisants, et il y aura toujours de nouvelles revendications allant encore plus loin que les précédentes, quitte à revendiquer l’inacceptable. Sans ces « luttes », le gauchiste ne peut pas exister (et inversement). Notons que le gauchisme ne consiste pas en un alignement politique avec des partis socialistes ou marxistes, même si ces partis tendent à occuper ces domaines.
Sur ce point, Kaczynski semble avoir particulièrement été influencé par sa brève carrière universitaire à Berkeley, en Californie. Au moment où il est étudiant puis devient professeur, se déroulent en effet les protestations en faveur du mouvement des droits civiques, qui déboucheront sur l’abolition des lois ségrégationnistes en 1968 dans tous les Etats Unis. L’influence du « gauchisme » dans les universités américaines, en particulier en Californie, est à l’époque particulièrement importante, et n’a eu d’ailleurs de cesse de se renforcer jusqu’à nos jours. A ce titre, on ne peut que reconnaître que Kaczynski avait raison et dans une certaine mesure prédit l’avènement du « wokisme », apparu dès le début des années 2000 justement en Californie (ISAIF a été rédigé en 1995), sous la forme d’une radicalisation et d’une polarisation extrême des revendications sur les droits des minorités en particulier sexuelles, à travers le mouvement LGBT.
Le wokisme démontre que l’affirmation selon laquelle « quels que soient leurs résultats, ils ne seront jamais suffisants aux yeux des gauchistes » formulée par Kaczynski est pertinente. Tout ce qui a été écrit sur l’université Evergreen, ou sur les dérives idéologiques voire sectaires de Science Po Paris, trouvait déjà son explication chez Kaczynski. Mais pour lui, justement, le gauchisme n’est pas la vraie racine du mal, car il n’est que la conséquence de la révolution industrielle du 19e siècle, et ne pourra que s’aggraver à mesure que le temps passe et que la technologie prend le contrôle de nos vies.
La technologie comme racine de tous les maux
A partir du paragraphe 121, Kaczynski s’attaque frontalement au problème de la technologie. Après avoir expliqué dans les paragraphes précédents que la liberté ne pouvait plus s’obtenir par de simples réformes politiques, Kaczynski s’emploie à démontrer que la raison pour laquelle les réformes ne peuvent plus fonctionner est liée aux progrès technologiques.
Pour lui, le Progrès n’a eu pour conséquences que de rendre l’être humain esclave de la société, en le réduisant à l’état de simple rouage dans la machinerie du système, et en le privant de plus en plus de toute influence et capacité de décision. S’il vise évidemment l’influence des médias qui, à travers le papier, les ondes radiophoniques et la télévision façonnent les esprits et les anesthésient en quelques sortes face à l’horreur de leurs vies ultra-socialisées (on ne peut s’empêcher ici de penser aux travaux de John Calhoun sur les populations de rats, en particulier la fameuse « Mouse Utopia »), la cible de Kaczynski n’est cependant pas seulement les médias, mais l’ensemble de la technologie moderne: téléphone, voiture, électroménager, ordinateurs, bref, toute la technologie industrielle et post-industrielle.
C’est ici, je dois dire, que le message de Kaczynski se brouille un peu. On comprend évidemment que son existence dans une simple cabane au fond des bois a constitué pour lui le modèle de société qu’il désire pour l’ensemble de l’Humanité, en postulant que ce n’est qu’ainsi qu’elle pourrait se libérer et se réaliser. En fait, cette partie est plutôt brouillonne car Kaczynski accepte sans l’expliquer les thèses anarcho-primitivistes. En somme, il s’agit d’une redite de Rousseau, pour qui le « sauvage », le « primitif », n’ayant pas été corrompu par la Société, est donc fondamentalement « bon ». Et c’est là l’une des énormes failles de cet essai, car évidemment, ce n’est pas le cas. Kaczynski lui-même rédigera par la suite une critique de cette pensée, dans l’essai « La vérité à propos de la vie primitive: une critique de l’anarcho-primitivisme ». Mais pour des raisons de simplicité et d’accessibilité, ISAIF ne discute pas cette théorie, et l’accepte pleinement.
Résoudre les problèmes de la Société Industrielle, c’est donc l’abolir par un révolution dont l’objectif est le retour à une vie pré-industrielle, essentiellement forestière. Clairement, Kaczynski se pose en partisan des thèses néo-luddites et semble militer en faveur d’une vie communautaire telle qu’on la trouve chez certains groupes religieux, comme les Amish américains. Cela, néanmoins n’est pas explicite, et n’est d’ailleurs pas très clair, car si Kaczynski explique que toute technologie est mauvaise et ne peut qu’avoir de mauvaises conséquences sur les libertés individuelles, il n’explique pas jusqu’où, selon lui, il faudrait régresser. Le terme de « technologie » n’est en effet jamais réellement défini par Kaczynski, et peut s’appliquer aussi bien aux technologies industrielles (utilisation du charbon, de la vapeur, etc.) qu’aux technologies pré-industrielles, telles que la métallurgie (mines, forges…). Les Amish, par exemple, vivent encore selon les technologies disponibles au 18e siècle et n’emploient ni électricité, ni carburants, mais n’en sont pas moins des artisans faisant usage de métaux. Or, les métaux ne s’obtiennent pas sans conséquences, ni pour les êtres humains, ni pour l’environnement, même dans les conditions d’extraction les plus simples, comme on le voit dans les mines artisanales en Afrique et en Amérique du Sud. Ces mines ont d’ailleurs un impact majeur sur l’environnement: destruction des sols, des aires boisées, pollution des cours d’eau, empoisonnement des mineurs, etc.
Kaczynski essaie de résoudre ce problème en distingant deux types de technologies: celle à petite échelle (artisanale), et celle à grande échelle (industrielle). Leur différence réside dans leur complexité: la première ne nécessite que de « petits » savoirs aisément transmissibles, tandis que la seconde nécessite toute une organisation pour la soutenir. C’est ainsi cette seconde technologie qu’il souhaite voir disparaître, au profit de la première, en expliquant qu’elle ne disparaît jamais vraiment. Malheureusement, il prend ici l’exemple de l’Empire Romain, en affirmant qu’après sa chute, aucun « petit » savoir ne s’est perdu. Cette affirmation est malheureusement on ne peut plus erronnée. L’alphabétisation s’est effondrée en même temps que l’Empire Romain, et avec elle a disparu presque l’ensemble des connaissances de l’époque. Même les savoirs artisanaux n’ont été que difficilement transmis, et l’ont été de façon parcellaire. Les techniques de construction, les techniques métallurgiques, même l’agriculture et l’élevage, ont connu une régression sans précédent dans l’histoire occidentale. Ces savoirs n’ont été retrouvés qu’avec les Croisades, non pas par le contact avec les musulmans au Moyen-Orient, mais avec l’Empire Romain d’Orient, à Constantinople, qui constituait l’un des passages obligés vers la Terre Sainte. Car l’Empire Romain n’a disparu qu’en Occident, pas en Orient. L’Orient n’a pas connu l’effondrement sociétal qu’a connu l’Occident, même si la décadence impériale a tout de même eu un impact sur les connaissances de l’époque. La « petite renaissance » du 13e siècle a été générée précisément par cette redécouverte, avant que les dynamiques socio-économiques rompent à nouveau les liens et le développement jusqu’au fameux « Quattro Cento » italien et le renouveau du commerce international avec Venise, l’Espagne et le Portugal, puis les Pays-Bas, la France et l’Angleterre à partir du 16e-17e siècle.
Le problème de la régression technologique n’est pas le seul point noir de cet essai. Kaczynski prône une révolution plutôt qu’une réforme. Kaczynski n’est pas un décroissant au sens actuel du terme, mais souhaite plutôt un effondrement total. Il n’est pas collapsologue non plus, il n’explique jamais comment la Société Industrielle va s’effondrer, il se borne à expliquer que la Technologie aura des conséquences désatreuses pour notre espèce et probablement l’ensemble de la planète. Il n’explique pas comment il envisage cette révolution. On devine qu’il prône une révolution violente, puisque lui-même s’est employé à expédier des colis piégés à des personnes qu’il estimait être responsables de l’état des choses. C’est ici sa rupture avec Ellul, qui n’envisageait jamais d’action violente. Justement, cette révolution que Kaczynski appelle de ses voeux en évoquant les révolutions de 1789 et de 1917, semble n’être pour lui qu’une passade: il n’envisage pas réellement ce qu’il y aura après. Il imagine simplement que la société aura régressé au point que la vie démocratique et le respect de l’environnement permettront à tout le monde de vivre librement. Outre le fait qu’il n’explique jamais réellement en quoi consisterait cette liberté et en quoi elle serait préférable à la situation actuelle (il se borne à pointer du doigt le gauchisme comme étant une conséquence négative de la société industrielle, causée par l’aliénation décrite par Ellul), il semble ne pas se soucier de ce qui adviendra par la suite. Il l’explique même très clairement au paragraphe 212: il se fiche de savoir si 500 ou 1000 ans après la révolution la société retourne vers l’industrialisation, ce n’est pas son problème mais celui des personnes qui le vivront. Stupéfaction que de constater que le modèle de vie prôné par Kaczynski ne semble pas être à ce point préférable pour notre espèce qu’il se fiche totalement de savoir si ses descendants y retourneront!
Conclusion
A travers ce paragraphe 212, je pense que l’on peut clairement comprendre que Kaczynski n’a pas réellement écrit un ouvrage pour exposer son idéologie et la faire partager au amximum. Il se fiche de sa propre révolution et de ses conséquences ou de sa pérénité.
Industrial Society and its Future, par ces quelques lignes, n’est pas tant un essai qu’une auto-justification où Kaczynski essaie de se convaincre du bien fondé de ses propres crimes. L’enrobage idéologique, d’essence néo-luddite plutôt qu’environnementaliste, ne sert qu’à camoufler la propre impuissance de Kaczynski à vivre en paix.
Il n’explique jamais que que sa motivation originelle était de fuir la société, par ce « recours au forêts » décrit par Ernst Jünger, dans son Traité du Rebelle, où il décrit la figure du Walganger scandinave, littéralement « celui qui fuit dans la forêt ». Ce qu’est clairement Kaczynski lorsqu’il se réfugie dans sa cabane forestière en 1971, après son expérience tumultueuse à Berkeley. L’envoi de ses bombes n’a commencé qu’en 1978, après la destruction de plusieurs endroits qu’il affectionnait dans ses environs par une exploitation forestière. Dès 1975, il avait mené sans succès des opérations de sabotage de diverses entreprises de construction et de déforestation.
C’est finalement parce que lui-même s’est senti impuissant face à ces destructions qu’il a commencé à vouloir agir, puis à envoyer des colis piégés. A mesure qu’il s’enfonçait dans une attitude revancharde, Kaczynski s’est senti obligé de justifier ses actes et de se présenter comme un révolutionnaire. Si on lui applique sa propre définition du gauchiste, on ne peut que constater que Kaczynski en est un lui-même, s’engageant dans une cause sans fin, sans objectif réellement défini en dehors de grands principes, et surtout impuissant à lutter et à exister dans la société industrielle autrement qu’à travers son propre (vain) combat non pas pour l’environnement, mais contre la technologie.
Kaczynski a été diagnostiqué schizophrène avant son procès en 1998, sans que l’on sache bien s’il l’était dès le départ, ou s’il a développé ces tendances lors de son isolement dans les forêts du Montana. Une autre thèse, plausible mais sans réelle confirmation, explique que Kaczynski, du temps où il était étudiant, a participé à certaines expérimentations en lien avec le programme MK-Ultra (qui n’est PAS une théorie conspirationniste), visant à tester diverses techniques de contrôle et de conditionnement par l’usage de drogues. Il se trouve que justement, Kaczynski a effectivement participé à des études sur le contrôle et le conditionnement en tant que cobaye, sous l’égide du Pr. Henry Murray, de l’université de Harvard, lorsqu’il avait 17 ans. L’expérimentation de Murray consistait en la rédaction d’essais qui seraient ensuite donnés à un autre participant, dont la mission était de démonter de façon très agressive chaque argument développé dans l’essai. Kaczynski a participé à l’étude pendant plus de 200 heures, subissant les assauts de ses collègues de façon hebdomadaire. Si Kaczynski a toujours affirmé que ces expériences n’ont eu aucun impact sur sa vie, les psychologues qui l’ont examiné pensent le contraire.
Théodore Kaczynski apparaît, à la lumière de ses écrits et de sa vie, comme une victime lui-même du système industriel, qui n’a su affronter les conséquences de celui-ci: aliénation, marginalisation, incapacité d’action et d’influence, sentiment de vacuité et dépression. Génie des mathématiques, Kaczynski n’avait pas l’esprit pour subir la société moderne: il aurait été qualifié aujourd’hui d’autiste, et probablement confié à des services éducatifs adaptés. Sa volonté de fuite, et la destruction de ce qu’il percevait comme son sanctuaire, l’a amené à commettre des actes criminels pour essayer de composer avec sa propre impuissance à affronter le monde. Cette inadaptation a causé la mort de 3 personnes, et en a blessé 23 autres plus ou moins grièvement. Même si Kaczynski a tenté de dissimuler sa faiblesse derrière un édifice idéologique et des revendications finalement peu claires, il est évident que La Société Industrielle et son Avenir ne peut être raisonnablement considéré comme un essai fondamental: si ses affirmations peuvent être pertinentes et si ses critiques doivent être entendues pour que la société s’améliore, entre les lignes on y devine surtout une auto-justification pour des actes qui n’ont eu aucune autre conséquence que de détruire des vies personnelles, et n’ont eu aucun impact sur la Société Industrielle elle-même…
Rutger Bregman, Humanité: une histoire optimiste, Seuil, 423p.
Un livre révolutionnaire dont l’objectif est de changer la vision des gens sur la nature de l’être humain, qui serait bon, gentil et prévenant envers son prochain. L’auteur explique que c’est d’ailleurs un fait scientifique attesté, que nous ignorons pourtant. Étonnant? Non, révolutionnaire, on vous dit!
Bregman a rédigé son livre avec une méthode éprouvée, qui est de démonter une thèse pour la décrédibiliser, tout en amenant son lecteur vers sa propre conclusion. Après tout, si tel ou tel discours est erroné, c’est que l’alternative est forcément vraie. C’est totalement redoutable et particulièrement efficace, d’autant plus quand le lecteur est confronté à ses propres aspirations et opinions et conforté dans celles-ci. Le point fort de ce livre est qu’il fait appel à des connaissances sur notre nature profonde. Notre histoire et notre évolution, notre psyché, notre sociabilité, tout est brillamment appelé en renfort de la thèse de l’auteur.
D’abord incrédule, je me suis laissé prendre au jeu du « et si… ». On a envie d’y croire: le monde dans lequel nous vivons est déprimant, et si nous pouvions avoir confiance envers nos semblables, le monde serait probablement meilleur.
Seulement, j’ai eu un sentiment de malaise indéfinissable et grandissant au fil des pages. Bregman démolit Sa Majesté des Mouches, Stanley Milgram (Soumission à l’Autorité), Philip Zimbardo (the Lucifer Effect), Thomas Hobbes (Léviathan), nous parle de l’auto-domestication de l’être humain, nous compare aux grands singes, nous parle de l’île de Pâques et de sa « vraie » histoire, nous explique que la guerre n’est pas naturelle etc. Il le fait très bien, mais à force d’insister, on sent que quelque chose cloche et nous agace. Et on finit par se rendre compte que Bregman part systématiquement du fait particulier pour démonter le général. Il part de l’exception pour contredire la règle. Et ça, ça s’appelle de la manipulation.
Si j’ai mis de côté mes doutes sur la première partie de l’ouvrage, pour garder un esprit véritablement ouvert et mettre à l’épreuve mes certitudes, il y a eu un moment où j’ai failli fermer le livre, arrivé au premier quart de ma lecture. Bregman tombe dans la bonne vieille opposition Rousseau/Hobbes, résumée à « homme bon de nature » contre « homme mauvais par nature ». Évidemment, Bregman est du côté de Rousseau et explique que Hobbes s’est fourvoyé. De toute évidence, Bregman n’a jamais lu un quelconque mot de Hobbes.
Hobbes expliquait que « l’homme est un loup pour l’homme » dans l’état de Nature, parce que les désirs des uns et les désirs des autres entraient en conflit: la liberté des uns ne s’arrête pas là où commence celle des autres, et cherchera à s’exprimer en dépit d’eux. C’est la loi du plus fort qui règne. Dans un tel monde, la seule manière de se protéger individuellement contre autrui est d’unir ses forces à celles d’autres individus. Une telle union n’est possible que si un pacte social est formé entre les participants, dont l’effet principal est la mise en place de barrières aux libertés de chacun (« …là où commencent celles des autres »). le pacte social est la base fondamentale sur laquelle va se construire une organisation complexe qui prendra le nom d’Etat, qui acquièrera une autonomie propre vis-à-vis de ses membres, une sorte de monstre appelé « Léviathan » par Hobbes, en référence au monstre gigantesque de la Bible. Le Léviathan est ainsi un tout plus grand que la somme de ses parties. Il n’y a chez lui aucune référence au bien ou au mal, parce que tout ceci se passe en dehors de toute moralité. Hobbes passait pour un absolutiste parce qu’il considérait que le spirituel (la Religion) devait se soumettre au corps social (et donc au pouvoir civil), et non l’inverse. Chez Bregman, Hobbes devient un cynique asocial faisant l’éloge du Pouvoir et de la tyrannie. Et évidemment, Rousseau est paré de toutes les vertus humanistes… Survient ainsi la première attaque contre la Propriété Privée, d’une manière si grossière et crasse que j’ai failli fermer le bouquin à ce moment là.
Ce passage est si central dans Humanité qu’il est difficile de croire que Bregman, qui a clairement fait des recherches importantes, n’ait pas lu Hobbes et n’ait pas sciemment rédigé son texte de façon à manipuler son lectorat dans le sens de sa propre thèse (j’y reviendrais). C’est là que j’ai réalisé que Bregman partait toujours du singulier pour contredire le général, ce que la suite de l’ouvrage me confirmera largement. Surtout, j’ai réalisé que Bregman, si enclin à démolir les arguments qui contredisent sa théorie, se livre sans mesure à une pratique qu’on appelle « cherry picking » (« cueillette de cerises »), c’est à dire à choisir spécifiquement des exemples qui vont dans son sens à lui. Alors qu’il remet toujours en doute les expériences et enquêtes qui tendent à démontrer l’inverse de ce que lui explique, il ne remet jamais en doute ses propres sources et articles, ce qui est pourtant l’un des fondements de la démarche scientifique. Pour un auteur qui affirme sans vergogne que sa thèse est « démontrée par la Science », autant dire que ça fait lever un sourcil. Mais j’ai poursuivi ma lecture, en considérant que Bregman voulait vraiment montrer quelque chose d’optimiste, et que remettre en question ses propres sources ne l’aurait pas vraiment permis.
Mais Bregman se contrefout de nous faire comprendre que « la plupart des gens sont des gens biens ». Non, il a un objectif derrière ça. Et cet objectif apparaît dans toute sa splendeur dans le dernier quart de son bouquin: faire la promotion du Communisme et de toutes ses variantes contemporaines, présentées comme « révolutionnaires », « incroyablement réussies », « avec des résultats époustouflants ». Et là, j’enrage, parce qu’il ose nous ressortir le bon vieux « Staline, Mao, les Khmers Rouges, c’était pas le vrai communisme ». « La propriété privée, c’est le mal, il faut tout mettre en commun ». Et sans surprise, je vois débarquer le nom d’Elinor Ostrom pour justifier cette affirmation, comme dans les immondices sur les « communs » rédigées par le collectif Utopia. Sauf qu’Elinor Ostrom n’a jamais été communiste: elle a travaillé sur la gestion commune des ressources détenues par des citoyens lorsque l’État ne peut ou ne veut pas s’impliquer. Son travail sur les « communs » n’a rien à voir avec l’abolition de la Propriété privée: chaque membre de la « communauté » détient l’entière et pleine propriété sur le bien qu’il verse au commun, et peut se retirer quand il le souhaite. Les communs, chez Ostrom, sont à comprendre comme « intérêts communs », et non comme « propriété commune ».
Bregman cite l’État de l’Alaska, qui verse à ses citoyens une pension tirée des revenus générés par l’industrie pétrolière. L’exemple parfait de ce que peuvent générer les communs: de l’argent de poche qui profite à tous pour ce que bon lui semble. Bregman, par contre, ne parle pas d’un autre État qui a fait exactement la même chose, et qui est aujourd’hui l’un des plus pauvres et des plus menacés de la planète: Nauru. L’archipel de Nauru était extrêmement riche au 20e siècle grâce à l’exploitation de ses gisements de phosphates. Tout était payé par l’exportation de cette ressource, tout était pris en charge par l’État, et les habitants disposaient d’un niveau de vie très élevé. Puis les ressources se sont taries, et comme l’argent qu’elles ont généré a été employé pour les loisirs et la consommation, Nauru s’est retrouvée du jour au lendemain sans aucun revenu ou presque pour payer ses fastueux programmes sociaux et son mode de vie. Nauru est aujourd’hui un cauchemar, plateforme de tous les trafics imaginables, parce qu’il n’y a plus rien d’autre pour faire vivre ses habitants qui souffrent à la fois d’obésité et de malnutrition. Et Bregman ne peut pas l’ignorer, parce que ce qui est arrivé à Nauru est l’archétype de ce qui se passe quand on applique des préceptes communistes tels que ceux qu’ils professe dans la fin de son livre.
Tout ça pour ça. Un bouquin de 400 pages, qui aborde son sujet un peu par tous les bouts, dans l’unique but de nous faire replonger la tête dans la bassine de purin qu’est l’idéologie communiste. « Le monde est mon copain, rions, dansons, baisons, sans nous préoccuper du lendemain ». Ce bouquin est dangereux, parce qu’il fait croire à ses lecteurs que le monde est gentil. Ce n’est pas vrai. Bregman n’a jamais voyagé le soir dans un RER ou marché seul dans une rue de quartier dans une grande ville. Il n’a jamais confronté ses sentiments sirupeux à la réalité, lui qui se targue d’expliquer que son livre est bâti sur la Science, oubliant de préciser qu’en fait de « Science », il s’agit de sciences sociales, et que les sciences sociales sont une dialectique et un compromis qui fluctue selon les circonstance, comme et avec la pensée humaine (le racisme et l’eugénisme AUSSI étaient des sciences à leur époque…).
Humanité est de ce genre de bouquins qui prend son lecteur par la main avec bienveillance et l’emmène sur le chemin de l’Enfer pavé de bonnes intentions. Le « réalisme » dont il se prétend être issu est un idéalisme naïf, qui a coûté la vie et continue de coûter la vie de centaines, de milliers de personnes. En niant que notre nature est ambivalente selon les circonstances (et non « fondamentalement bonne »), Bregman rejoint ces cohortes de personnes qui un beau matin se retrouvent avec un couteau sous la gorge sans comprendre que leur prochain n’est pas et ne sera jamais leur « frère ». Il faudrait un bouquin complet pour démontrer (une fois de plus) les erreurs et les contresens de la thèse de Bregman, qui n’a rien d’original puisqu’elle date du 17e siècle.
C’est le problème avec ces gens: 3 siècles de contre-arguments et de contre-exemples ne changeront rien à leur adhésion à une idéologie mortifère. Ils sont dans leur monde, dans leur mentalité sectaire, et le jour où ils acquièrent suffisamment de pouvoir, commence l’épuration des gens qui ne pensent pas comme eux. Dans le cas de Bregman, on sait déjà qu’on nous alignera contre le mur au motif que nous sommes pessimistes, et que notre discours agit comme un nocebo sur le corps social, comme on pendait les « défaitistes » aux réverbères à la fin de la seconde guerre mondiale.
L’immense déception du « match du millenium » entre Fillon et Zineb m’a amené à chercher d’autres auteurs, d’autres ouvrages sur le sujet de la lutte contre l’islamisme. On peut critiquer Amazon sur beaucoup de choses, mais il en est une qui est une bénédiction: les suggestions. C’est grâce à elles que je suis tombé sur cet essai de Chahdortt Djavann, romancière et essayiste française d’origine iranienne. Avec 200 pages sur la balance, on n’est clairement pas dans la même catégorie que le pastiche d’essai de Zineb.
Paru chez Grasset à l’automne 2016 et réédité en 2018 au livre de poche, il a été rédigé dans les mêmes conditions que les deux autres, suite aux mêmes événements, les attentats de Paris du 13 novembre 2015.
Contrairement aux deux autres, en revanche, Djavann sait de quoi elle parle, et pour cause: elle a subi le régime des Mollahs, et de plein fouet. Née en 1967 dans l’Iran du Chah, elle a 12 ans quand survient la Révolution Islamique. A 13 ans, elle est tabassée par les Gardiens de la Révolution parce qu’elle participait à une manifestation contre le régime islamique, et s’en tire avec deux côtes cassées, et trois semaines de détention. Deux de ses amies sont tuées. Elle finit par devoir quitter le pays, en 1989, se réfugie en Turquie, avant d’arriver en France en 1993, vivant dans un véritable dénuement, sa famille ayant tout perdu. Autant dire que d’emblée, ses affinités avec les islamistes ne sont pas marquées du sceau de l’amitié…
Et cela s’illustre rapidement, car elle rédige en 2003 un réquisitoire contre le voile islamique, « Bas les voiles!« . Ses arguments, basés sur sa propre expérience, l’amènent à témoigner en 2003 devant la commission Stasi sur le voile à l’école. En 2004, elle signe un nouvel essai intitulé « Que pense Allah de l’Europe?« , exposant les stratégies islamistes d’infiltration politique des institutions françaises et plus généralement européennes. Si elle s’oriente par la suite vers une carrière de romancière, elle reprend la plume pour rédiger cet essai contre l’Islamisme en 2016.
Ok, mais qu’est-ce que ça vaut?
Dès les premières pages, on comprend qu’on tient un bouquin sérieux dans sa démarche et honnête quant à ses objectifs et dans son rapport à son sujet. Sa plume est claire et sincère, et au bout d’à peine cinq pages de l’introduction, j’ai saisi pourquoi j’étais sorti de l’essai de Zineb avec un sentiment de malaise: Chahdortt n’essaie pas de lutter contre les islamistes avec l’Islam, elle les combat avec les principes de laïcité, de démocratie, et plus généralement, avec ce qui a constitué le socle de notre société depuis deux siècles. De fait, elle ne cite jamais le Coran, ni n’essaie pas de nous parler du Prophète sous couvert de critique. Elle ne prétend pas réformer une religion, mais combattre une idéologie politique. Et nom de Dieu, ça fait du bien de voir enfin un essai nous lâcher la grappe avec ces histoires. La lutte contre l’islamisme n’est pas une affaire d’exégèse du Coran, n’est pas une histoire d’islamologues, et ça, Chahdortt Djavann nous le rappelle très efficacement. Pas besoin d’un hypothétique et chimérique « Islam des Lumières », les Lois de la République suffisent.
Elle ne se permet qu’une seule incursion dans le domaine religieux, lorsqu’elle rappelle les cinq piliers de l’Islam (p.44). Elle rappelle ainsi que contrairement aux discours des islamologues, il n’y a pas besoin de suivre tout un tas de prescriptions du type voile ou hallal pour être un « bon musulman », puisque ces cinq piliers suffisent: la profession de foi (la Shahada), qui marque l’entrée dans la foi islamique, la prière (cinq fois par jour pour les sunnites, trois pour les chiites), l’aumône (la Zakât), le jeûne pendant le mois du Ramadan, si l’état de santé le permet, et le pélerinage à La Mecque (le Hajj) au moins une fois dans sa vie, si les moyens financiers le permettent. C’est tout. Pas de hallal, pas de voile, pas de prosélytisme, pas de morale islamique, pas de sharia, pas d’interdiction de l’alcool, pas d’histoire de quoi que ce soit d’autre et certainement pas de Jihad, c’est à dire rien de ces prescriptions idéologiques de l’idéologie islamique qu’elle expose quelques pages plus loin (p.50).
La suite de son essai s’attèle à déconstruire la méthodologie islamiste, et n’hésite pas à dénoncer des « sociologues » comme Khosrokhavar (p.57) et Olivier Roy (p.111), des universitaires et autres intellectuels, comme Fariba Abdelkah, Azadeh Kian ou Nahal Tajadod (p.113) ou encore Marjane Satrapi (p.114-118), dont Persépolis tient plus du manifeste pro-islamiste que de la critique du régime iranien (critique de toute façon contrôlée par ce régime, pour se donner des airs démocratiques et signer des contrats commerciaux avec les puissances étrangères). Elle n’épargne pas le monde politique non plus, et n’hésite pas à s’en prendre à Hollande et son discours si marqué par les islamologues, ni à Obama (p.131-136), dont la politique d’ouverture envers l’Iran a été selon elle une véritable catastrophe internationale.
Loin du politiquement correct, une invention de répression politique des opinions publique qui a tant servi l’idéologie islamiste, Chadhortt Djavann explique que les jeunes séduits par l’islamisme et le jihadisme ne le sont pas, comme on le lit trop souvent, pour des raisons socio-économiques. Les « jeunes de banlieue » ne sont pas plus défavorisés ni plus abandonnés que les jeunes ruraux, qui eux pourtant ne cèdent pas à la violence ni à un extrémisme politique virulent. Si ils cèdent aux sirènes du jihadisme, c’est parce que le discours islamiste est partout, parce qu’on laisse les islamistes les prendre en main. Pire, on le leur a demandé. Et là, je ne peux qu’être d’accord avec Djavann: après les émeutes de 2005, je me souviens très bien avoir vu un reportage au journal de TF1 (à l’époque, il n’y avait pas BFMTV, il faut s’en rappeler) faisant la promotion des islamistes du mouvement Tabligh qui allaient à la rencontre des jeunes « désoeuvrés » en bas des immeubles pour les inciter à s’impliquer dans la religion. Un concept de pacification qui rappelle celui des « grands frères » des années 1990, largement approuvé par le Gouvernement et Sarkozy en tête, avec son idée de vouloir créer un « Islam de France » par le biais du CFCM, dans les faits création purement estampillée « Frères Musulmans ».
Djavann Chahdortt insiste également sur le fait que les enfants d’immigrés musulmans sont souvent forcés dans leur « foi » par la pression de leurs familles, amis voire simples étrangers, parfois violente (de plus en plus violente, pourrait-on dire, au vu de l’actualité quotidienne…). L’anecdote qu’elle raconte sur ses années d’étudiante parisienne, où elle fréquente le restaurant universitaire et réclame une côte de porc pour se voir dire par la serveuse, musulmane, « c’est du porc! » puis « tu manges du porc, toi? T’es pas musulmane? », date de 1997. De nos jours, où la question du porc à la cantine est devenue un véritable débat de société, on mesure à quel point la pénétration de l’islamisme dans notre société en est arrivée à un point inimaginable il n’y a que 30 ans.
La fin de son ouvrage apporte des éléments de réponse (si on ne les avait pas déjà compris au cours de la lecture de son essai) à la question posée par son titre. L’un de ses points principaux est qu’il n’existe pas un « Islam de France », comme certains le promeuvent sans arrêt. Il y a l’Islam, point. Et cet Islam, en Occident comme ailleurs, est gangréné par l’idéologie islamiste. Pour lutter contre elle, il faut d’abord contrer ses prétentions « identitaires »: voile dans l’espace public (et donc à l’école et dans les universités), exceptions alimentaires dans les cantines et restaurants, et en un mot comme en cent, protéger farouchement la laïcité, qui est une neutralité et non une coexistence de religions. Elle propose ensuite l’instauration d’un service civique obligatoire, pour les hommes comme pour les femmes, pour restaurer le sentiment d’appartenance à la communauté française, et non pas à une communauté non républicaine. Elle propose également, dans le même esprit, l’instauration d’un uniforme scolaire (sans voile!), et le réapprentissage de la Marseillaise à l’école. Elle s’avance également sur la question de la déchéance de nationalité, s’y montrant largement favorable. Plus généralement, c’est la question du choix de l’immigration et de l’imposition d’un « pacte social » avec l’immigré, qu’elle défend. Enfin, elle propose de former non pas des imams, mais des éducateurs laïcs, pour canaliser la jeunesse dans le sens républicain plutôt que dans le sens islamique, voire islamiste. Elle défend l’idée que le Peuple français a son mot à dire, et propose des consultations populaires sur les sujets les plus importants, par exemple la limitation des droits et allocations aux étrangers. Un sujet qu’elle n’aborde pas à la légère, ayant été elle-même immigrée ne parlant pas la langue française à son arrivée…
Mon analyse et avis
Difficile de dire que Chahdortt Djavann a écrit un essai à côté de la plaque ou totalement vide. C’est loin d’être le cas, et je ressors de ma lecture avec la sensation d’avoir ENFIN lu quelque chose d’à la fois sans ambiguïté et fondamentalement anti-islamiste, et surtout sincère et pertinent. Ce qu’elle écrit est juste, à tous les niveaux, et s’appuie totalement sur ce que notre société française a en elle, plutôt que d’aller chercher des réponses dans une sorte de contre-islamisme fondé sur le Coran. Avec Chadhortt Djavann, pas de sentiment d’avoir lu un pamphlet d’une faction islamiste dirigé contre une autre faction rivale. Et franchement, ça fait du bien.
Le seul petit reproche que je peux faire à cet essai est sa propension à réduire l’islamisme à l’Iran, qui serait selon elle la source de tous les problèmes liés à l’Islam dans le monde. Une analyse que je suis loin de partager, même si il est clair que l’Iran n’est pas innocent du tout dans la diffusion et la généralisation du discours idéologique islamiste à travers le monde. A lire Djavann, l’islamisme n’existait pas avant la Révolution Islamique de 1979. Or, c’est inexact. Les Frères Musulmans ont été fondés à la fin du 19e siècle, officiellement dans les années 1920. Le Talbigh a été fondé dans ce qui était l’Inde, puis est devenu le Pakistan Oriental puis le Bangladesh, en 1927. La construction de l’Arabie Saoudite telle qu’on la connait aujourd’hui, sous le règne de la famille al-Saoud, s’étend entre 1902 et 1932, et principalement dans les années 1920.
Pourquoi les années 1920 semblent-elles marquer autant l’histoire de l’Islamisme moderne? Tout simplement à cause de la chute du Califat Ottoman, qui s’est effondré définitivement en 1923. La place laissée vacante a été simplement occupée par d’autres. Le Califat Ottoman était le dernier avatar de l’islamisme « ancien », celui qui utilisait la conquête militaire pour répandre la foi musulmane (notamment dans les Balkans et dans le Caucase, dont l’instabilité aujourd’hui est totalement liée à l’époque de la domination ottomane). Avec sa disparition, c’est l’Islam politique qui prend le relais. Face à des puissances militaires invincibles comme l’Empire anglais, l’Empire français, les Etats-Unis naissants ou encore l’URSS lui aussi balbutiant, il fallait recourir à la ruse plutôt qu’à la force, une leçon très tôt apprise.
La Révolution islamique de 1979, intervenue 50 ans plus tard, me semble être plutôt le résultat plutôt que le point de départ, la confirmation que les méthodes de l’Islam politique pour instaurer un régime islamiste fonctionnent, et permettent de séduire les élites des pays occidentaux, sans l’appui desquels la Révolution Islamique de Khomeini n’aurait jamais pu réussir. Si elle a été un point de départ, c’est pour le lancement des projets de conquête insidieuse de l’Europe, mais c’est un problème mondial, et pas seulement occidental.
Dans l’ensemble néanmoins, Djavann a raison sur beaucoup de point. Je ne suis pas sûr que réintroduire l’uniforme et la marseillaise soient si importants dans la lutte contre l’Islamisme, mais une immigration choisie (sur le modèle québécois) et l’instauration d’un contrat social avec des obligations strictes pour les immigrés sous peine de non-renouvellement de l’autorisation de séjour sont la base qu’il aurait fallu instaurer il y a déjà 25 ans. La déchéance de nationalité pour les tenants de l’islamisme et de son avatar violent, le jihadisme, sont tout aussi nécessaires à notre époque où les enfants d’immigrés sont français mais rêvent d’instaurer un régime islamique en France. Comme Djavann le dit si bien, il y a 40 Etats islamiques dans le monde, mais il n’y a qu’une seule France. Si quelqu’un ne s’y plaît pas, libre à lui de partir et de faire le chemin inverse de celui qu’elle-même a fait. Enfin, l’interdiction du voile islamique en dehors du cadre privé et du cadre religieux (mosquée et célébrations spécifiques), c’est à dire dans l’espace public, aussi bien à l’école qu’à l’université, dans la rue ou dans l’administation publique, se justifie largement par son utilisation par les islamistes comme base de toute leur idéologie. Ce n’est PAS un vêtement religieux, c’est un vêtement politique, idéologique. On interdit le port de signes et uniformes national-socialistes, il n’y a aucune raison pour laquelle on ne bannirait pas le voile.
Je doute, enfin, de la capacité de notre démocratie à débattre et porter des décisions anti-islamistes. L’élection de Macron constitue à cet égard la meilleure démonstration que la démocratie est en panne en France, que ce soit dans la crise des gilets jaunes ou autre. Jamais dans l’histoire un gouvernement n’avait autant inclus d’islamistes assumés comme tels, de personnalités anti-France voire anti-français, ni de collaborationnistes pro-Islam. Macron est l’illustration absolue des défaillances de notre démocratie, qui se borne à faire barrage à une extrême droite qui n’a d’extrême que son relativisme et sa propension à toutes les compromissions, quitte à sacrifier l’identité française sur l’autel de l’Europe et de l’identité communautariste. Notre pays, sur la question de la lutte contre l’Islamisme comme sur tous les autres sujets, a besoin d’un anti-Macron, d’un Président fort, antithèse de ce que représente notre pathétique locataire de l’Elysée actuel. Le type de politique qui malheureusement ne viendra pas du monde politique actuel… mais c’est un autre problème, et une autre histoire.
Conclusion:
Un très bon livre, même si il se concentre un peu trop sur l’Iran (rappelons que son auteure est née en Iran, ce qui explique certainement cela). Un vrai diagnostic, une vraie dénonciation, avec des noms, des dates, des circonstances, et surtout, de vraies propositions, peut être un peu idéalistes ou tardives, mais néanmoins nécessaires. Surtout, un bouquin qui ne donne pas l’impression de faire la promotion d’un « autre Islam », c’est à dire fait la promotion d’un islamisme alternatif. Djavann reste fidèle à ce qui a fait de la France ce qu’elle est, avec une laïcité farouchement anti-cléricale dans la sphère politique.
Si vous ne deviez lire qu’un seul ouvrage sur le sujet de la lutte contre l’Islamisme, c’est celui-ci, même si il date d’un temps avant Trump et avant Macron. A bien des égards, ses préconisations ne suffisent déjà plus, même si elles n’en restent pas moins nécessaires.
Pour commencer cette année sur les chapeaux de roues, j’ai le plaisir d’accueillir sur Sombre Plume le match du… soyons fous, du MILLENIUM!
A ma gauche, le poids mort de la politique française, 150 pages, et mille fois plus sur le plan pénal. Premier Ministre de la France sous l’ère Sarkozy, il déclarait avec dramatisme qu’il était à la tête d’un Etat virtuellement en faillite, et son héritage s’est limité à son surnom de « Droopy ». Une ovation pour Fraaaaaaaançois Filons!
A ma droite, l’outsideuse, petite maghrébine de quelques dizaines de kilos pesant 70 pages sur la balance, pudiquement estampillée « la survivante de Charlie Hebdo » comme si c’était son seul fait d’armes, sa hargne contre les islamistes n’a d’égal que la hargne des islamistes contre elle, j’ai nommé Ziiiiiiineeeeeeeeeeb El-Rhazoui!
Tous les deux ont publié à l’automne 2016 un bouquin pour démantibuler, démembrer, annihiler l’islamisme en France. Lequel va remporter la palme du meilleur combattant contre les barbares barbus, lequel fait le meilleur constat de son temps et propose les meilleures solutions? Vous découvrirez tout ici, dans cet article, sur Sombre Pluuuuuume!
La galanterie étant désormais un truc misogyne, je vais commencer par Fillon.
Fillon: un coup pour rien
Je dois bien le reconnaître, je n’attendais absolument rien de ce bouquin. Comme je n’attend jamais rien des bouquins d’hommes politiques, qui de toute façon n’écrivent généralement pas leurs propres bouquins et font appel (comble de l’ironie pour des gens qui se drapent dans les grands principes républicains) à des nègres littéraires.
Et d’emblée, mon sentiment a été de lire un bouquin écrit par quelqu’un d’autre. Les tournures de phrases sont policées, cisaillées sur mesure dans la plus absurde neutralité. Les premiers chapitres n’ont aucune âme et pourraient tout aussi bien avoir été écrits par un bot. La fin est plus passionnée (jamais passionnante), et on y retrouve mieux la patte de Fillon, plus adepte de la phrase choc et percutante que du machin sans forme du début du bouquin. « Mais qu’est-ce que ça vaut? », me direz-vous. Hé bien… pas grand chose.
J’ai été surpris par le deuxième chapitre (le premier n’est qu’un constat sans intérêt), qui semblait s’atteler à dénoncer la passivité des autorités françaises face au phénomène islamiste et à la montée d’un courant terroriste en son sein. Je ne m’attendais pas à ce que Fillon parle d’emblée « d’aveuglement volontaire », qui traduit une véritable trahison française (du nom du bouquin de Waleed al-Husseini) de la part de nos gouvernants, dont Fillon, puisqu’il a été Premier Ministre de Sarkozy de 2007 à 2012 (et ministre sous Balladur en 1993, puis Juppé en 95, puis sous Raffarin en 2002 puis encore en 2004). Il est, il faut le rappeler, le premier Premier Ministre à avoir inauguré une mosquée, en 2010…
Serait-ce à dire qu’il exprime des regrets pour ses propres turpitudes? Allons, allons, n’allons pas jusque là. Fillon ne donne aucun nom, aucune circonstance, aucun exemple des « petits arrangements », n’émet que de vagues affirmations sur « un maire communiste » par-ci, un socialiste par-là. Ça commence déjà fort, et on est que page 41…
Alors bon, je vais pas vous faire tout le bouquin comme ça, parce que ça n’a aucun intérêt. La première partie n’a aucune substance, tout est de cet ordre. Quand il dénonce le financement étranger des mosquées, ce n’est pas pour taper sur l’Arabie Saoudite (qu’il cite, quand même, ouf!), mais pour plaider pour un « Islam de France » avec une réforme du CFCM, et une meilleure collaboration européenne. Il digresse énormément sur la question de la Syrie et du Califat (« Daech »), plaidant pour une réintégration du régime d’Al-Assad dans le concert des Nations, mais sans vraiment donner de détail sur ce qu’il souhaite faire ensuite. Parce que bon, en 2016, ce n’est pas parce qu’on réintègre Al-Assad dans le processus des relatons internationales que le Califat disparaît comme par enchantement (il aura fallu 3 ans de plus, 3 ans d’intenses combats de reconquête, meurtriers et destructeurs, pour dissoudre la majeure partie des cellules brandissant le drapeau noir du Califat, qui existe toujours en Syrie aujourd’hui).
Puis est venu le chapitre où on sent bien le style Fillon reprendre la main (exit le nègre littéraire, ici Fillon a des trucs à dire). Intitulé « reconquérir les territoires perdus de la République », du nom de ce bouquin paru en 2003 sur l’état de délabrement de l’enseignement public dans les « quartiers », ce chapitre traite de tout sauf de ce que son titre exprime. Le cœur de son sujet, c’est le fait que les écoliers juifs ne puissent plus aller dans les établissements d’enseignement public à cause de l’antisémitisme qui y règne. Jamais Fillon ne dira que ce n’est qu’un épiphénomène d’un problème plus large, plus lourd, qu’est l’immigration sans contrôle (il se borne réclamer la création d’une agence pour surveiller les frontières extérieures de l’Union Européenne, qui existe déjà à l’époque, et se nomme Frontex), y compris, donc, de personnes islamisées dans des pays où le régime est clairement islamiste (Maroc et Algérie en tête), n’ayant donc aucun respect pour nos lois républicaines puisque lois de mécréants, qui ne valent rien face à la sharia. Des victimes des attentats, Fillon ne dira que quelques mots, surtout pour illustrer son propos « l’islamisme, c’est des méchants ». Il ne dira rien sur les personnes tabassées tous les jours, des jeunes filles violées à la chaine, des gamins rackettés. Le quotidien des français, quels qu’ils soient, ne semble pas valoir la peine qu’on s’y attarde. Les écoliers juifs, par contre, ça, ça fera l’objet d’un chapitre complet (p.95-115).
La suite est une cacophonie sans réel rapport avec son sujet, qui finalement n’est qu’une accroche pour sa campagne présidentielle de 2017. Ses solutions pour lutter contre l’islamisme? réformer l’Etat en abolissant les 35 heures et en supprimant 500 000 postes de fonctionnaires (p.123). Cocasse quand sur la page d’avant, il parle de réformer la Justice en lui donnant plus de moyens et de magistrats, et de faire de même pour la Police. Je lui reconnais ça: il est cohérent. Il se plaint quelques pages plus tard (p.131 et s.) de ce que Taubira avait démoli son programme de construction de places de prison pour en disposer de 80 000 en 2017. Comme si la Prison avait un quelconque effet dissuasif contre des gens qui se radicalisent dans les mosquées et sur internet… Il poursuit d’ailleurs en prônant le renforcement du Renseignement en prison (p.125).
Un bon point pour lui, cependant: il reconnaît qu’on n’applique pas les textes législatifs dont notre pays s’est doté ces dernières années. Il n’y a donc pas besoin de changer la Constitution (on était en plein Etat d’urgence à l’époque, et une réforme était en cours pour intégrer ce régime d’exception dans le droit « normal »), il suffisait d’appliquer la Loi. Ce qui est vrai.
Il prône également l’expulsion des étrangers radicalisés (p.139), et le transfert aux grands acteurs d’internet du contrôle des discours haineux (ce qui était déjà fait, même si en l’occurrence, il s’agissait de taper sur « l’extrême droite » en prétextant taper sur les islamistes).
Et… voilà, c’est tout. Même pas livre-programme, ce bouquin est une bête déclaration d’intention, rien de plus qu’un long discours bien-pensant, sans aucune réelle prise de position contre l’Islamisme (car lui se positionne contre le terrorisme). La question des mariages forcés, des gamines envoyées au bled pour y épouser leur cousin, celle des revendications sans cesse plus abusives (Burkini, non-mixité dans l’espace public, création de tribunaux islamiques sur le modèle des cours de la Sharia à Londres), quand elles ne sont pas tout simplement sécessionnistes, tout ça, Fillon s’en tape, ça ne l’intéresse pas. Il ne veut pas se mettre à dos les musulmans (qui n’ont pourtant rien à voir avec les terroristes) en prenant des positions trop tranchées.
Un coup d’épée dans l’eau, une perte de temps, du vide, voilà ce que m’évoque le livre de Fillon en le refermant.
Heureusement, j’ai dégotté le livre de Zineb à peu près au même moment, et me suis donc lancé dans la lecture de ce que « la rescapée de Charlie Hebdo » avait à dire.
Zineb: « mais dis-donc, ça ne serait pas un peu de la taqiyya tout ça? »
Alors là, j’avoue être tombé de haut. De très haut, même. Zineb el-Rhazoui a l’image d’une femme très engagée contre l’Islamisme, menacée de mort par les radicalisés (et les « modérés » aussi, d’ailleurs), en danger de mort etc. Sa récente prise de position qui lui a valu des attaques de ce péquenaud de Booba sur le plateau télé d’Hanouna confirmait cette image d’une femme très laïque, voire athée (elle dédie son essai aux « athées musulmans »… j’y reviendrais). Un grand élan de sympathie et de soutien s’était enclenché suite à cet épisode, énième d’une série de polémiques médiatiques sans grand intérêt où elle tient le rôle de la vilaine islamophobe. Je m’attendais à un livre percutant, fouillé et avec de vraies propositions.
A la place, j’ai un bouquin de 70 pages (qui commence à la page 11…), décomposé en 5 chapitres qui… ne servent absolument à rien. Elle se borne à faire des constats (que tout le monde a déjà fait), en citant des passages du Coran ou des Hâdiths (des textes se rapportant à la tradition islamique), pour dire « holala, l’Islam c’est quand même une religion homophobe et misogyne de pédophiles et de meurtriers, mais attention au racisme parce que c’est pas bien, et puis de toute façon le vrai danger c’est l’extrême droite ». Je caricature à peine.
Son constat est pourtant bon: l’Islam n’est pas une religion, du moins n’est pas « que ça », tout comme le christianisme et le judaïsme d’ailleurs. Ces courants ne sont pas spirituels, il s’agit d’idéologies avec un vernis religieux pour en assurer la domination sur les hommes qui ne sont rien face à Dieu. L’Islam est un projet politique basé sur des dogmes religieux qui ne peuvent se discuter sans être déclaré hérétique ou apostat. Ceux qui pensent qu’islamisme et Islam n’ont rien à voir n’ont rien compris et sont des idiots utiles aux « extrémistes » (p. 20), c’est à dire pour ceux qui souhaitent établir leur domination sur autrui. Sa proposition de « déconstruire la dialectique pernicieuse des islamistes » (p. 21) est un bon début, et on s’attend à avoir des armes pour le faire dans la suite de l’ouvrage. Espoir qui va être déçu, et sévèrement: se bornant à énoncer quelques passages où s’expriment la barbarie et l’avidité des musulmans à l’époque de Mahomet, Zineb n’aborde jamais les méthodes d’infiltration des islamistes dans nos sociétés. Tout juste évoque-t-elle la taqiyya, « le mensonge en vue d’obtenir un avantage », mais c’est pour mieux comparer l’islamisme au fascisme mussolinien (p. 41), et parler de l’islamisme comme « extrême droite islamique ». Elle s’acharne à calquer le « fascisme islamique » sur « le fascisme européen » (p. 37-46), avant de pousser encore plus loin son idée en y ajoutant la notion de « collaborationnisme ». Là, je lui reconnais ça, elle tape surtout sur l’extrême gauche (p. 48-51), et à juste titre. Mais bon, sans oublier que ses amis viennent de cette gauche-là, donc elle ne cite aucun nom, aucun exemple type, ni rien de concret pour illustrer son propos. La suite n’est qu’une redite du début, je n’y reviens pas.
Au moment de refermer cet essai, j’ai l’impression, très sincèrement, qu’on s’est foutu de ma gueule. Zineb a beau citer des passages du Coran ou des Hâdiths, et taper un peu sur l’imbécilité et la naïveté de la société française en matière d’islamisme, à aucun moment elle n’explique ce qu’il faudrait faire, concrètement, avec de vraies propositions, pour « détruire le fascisme islamique ». Enfin, si, pardon, elle écrit: « pour lutter efficacement contre le terrorisme, il faut combattre sans merci l’idéologie qui le produit. » Merci, la vache, c’est une véritable révélation, je n’y aurais pas pensé, ni personne d’autre depuis les attentats de New York en septembre 2001*.
Au delà de ce sentiment de foutage de gueule, c’est également un étrange sentiment de malaise qui, je dois bien l’avouer, m’a saisi aux tripes. Ma lecture de certains passages m’a fait l’impression que loin de descendre l’Islam malgré le fait qu’elle dézingue son Prophète et ses disciples, Zineb essayait au contraire de poser une autre vision de cette idéologie/religion, comme si elle préparait le terrain pour ce qu’une certaine frange des musulmans occidentaux appellent un « Islam des Lumières », à l’image du sociologue Malek Chebel jusqu’à la fin de sa vie. C’est par exemple ce qu’elle s’escrime à faire lorsqu’elle plaide pour un Islam en tant « qu’héritage culturel sécularisé, critiqué, soumis à la Loi et à la raison. Il ne sera accepté que s’il est désacralisé et que la charia est déclarée définitivement obsolète » (p. 35). Alors les mots c’est bien, sauf que c’est comme ça que les Frères Musulmans ont convaincu cette gauche qu’elle dézingue (et la droite aussi) de « collaborer » et de faire de la place à l’Islam pour régler les problèmes que génère l’immigration incontrôlée. La stratégie de pénétration des Frères Musulmans, c’est exactement ça, « prétendre que l’Islam est un Islam des Lumières ». C’est parce qu’il serait « lumineux » que l’Islam bénéficie de l’attention et des faveurs des franc-maçons républicains. C’est grâce à cette image que ceux-ci activent leurs réseaux pour défendre les « musulmans » (les islamistes) contre « l’islamophobie » (un concept, là encore, issu de la doctrine des Frères Musulmans), qui par association est vécue comme un anti-maçonnisme par les « frères trois points », dépositaires autoproclamés de l’héritage du « Siècle des Lumières » (voir, parmi d’autres, les Dossiers de l’Orient, revue d’Antoine Sfeir, célèbre franc-maçon, et en particulier les numéros 69 « l’équerre et le compas: franc-maçonnerie en terre d’Islam » et 125 « réformer l’Islam »; symptôme de l’aveuglement des « républicains » face à l’Islam, les musulmans haïssent les franc-maçons presque autant qu’ils haïssent les juifs…).
Il y a là je trouve une immense dissonance dans ce qu’écrit Zineb. Soit l’Islam est un système politico-religieux, pouvant déboucher sur une forme de fascisme (ou de totalitarisme, comme le reprend Fillon), et dans ce cas, point de sécularisation possible sans vider l’Islam de sa substance, soit l’Islam peut devenir un « Islam des Lumières » mais dans ce cas, on jette le Coran et les Hâdiths et on crée autre chose, comme la Révolution l’a fait en abandonnant le dogme chrétien, mais en adoptant des institutions civiles telles que le mariage, le baptême (baptême républicain), et des tas d’autres qui existent aujourd’hui encore, ne gardant ainsi qu’une « culture » et non plus une religion/idéologie (ça s’appelle de l’Hérésie, voire de l’apostasie, au passage, et en Islam, c’est puni de mort…). Cette seconde solution n’est pas nouvelle: elle a été mise en oeuvre (jusqu’à un certain point seulement) pendant presque tout le 20e siècle, d’un côté par le nationalisme arabe (parti Ba’ath, dont Saddam Hussein et Bachar Al-Assad étaient/sont les derniers représentants), de l’autre par le système fédéraliste post-soviétique en Russie (à l’exception de la Tchétchénie, qui a un statut religieux d’exception sous l’égide de Kadyrov). Deux options décriées, critiquées, dénoncées à grands cris d’orfraie encore aujourd’hui partout en Occident, parce qu’elles ne seraient pas « démocratiques ».
Et ça, Zineb ne l’ignore pas. Alors quel jeu peut-elle donc bien jouer? J’avoue que j’ai du mal à comprendre, et le fait que ce qu’elle prône rejoint exactement la stratégie des Frères Musulmans me laisse pas mal dubitatif. Zineb, « rescapée de Charlie Hebdo », est-elle en pleine taqqiya, est-elle un poisson pilote pour l’idéologie des Frères musulmans, agitant d’une main une chimère pour mieux avancer ses pions de l’autre main, quand on ne regarde pas? Zineb est-elle comme tant d’autres avant elle, ces Tariq Ramadan, ces Tarek Obrou (qui prône une réforme du Coran), ces Yassine Bellatar (ex-conseiller de Macron), qui tous, sous couvert de progressisme, ne sont que des islamistes en costard/cravate? Je me gratte franchement la tête. Même si j’espère me tromper, je n’oublie pas que la plus grande force de ces gens est leur capacité à nous mentir et notre propension à les sous-estimer… Au fond, j’ai l’impression qu’elle tape sur le jihadisme (ou terrorisme islamique) pour mieux prôner… un autre islamisme (« des Lumières », politique, comme les Frères Musulmans, vous aurez compris).
Conclusion
Vous l’aurez compris, j’ai été extrêmement déçu par ces deux lectures, qui portent un titre carrément mensonger et n’apportent absolument rien de plus à un débat vieux de presque 20 ans déjà. S’ils ont été écrits en 2016, à la toute fin du quinquennat Hollande, catastrophique à tous les niveaux pour notre pays, il est difficile de pardonner le vide qu’ils contiennent. Ils ne proposent rien (Fillon essaie, mais tellement vaguement que ça n’a aucun début de valeur), et donne l’impression, au contraire, d’instrumentaliser l’Islamisme et les craintes qu’ils génère dans l’opinion française à leurs propres fins, l’un pour l’élection présidentielle, l’autre pour un hypothétique et illusoire « Islam des lumières ». Pire, dans le cas de Zineb, je referme son bouquin avec un véritable sentiment de malaise.
En préparant cet article, j’ai voulu regarder ce que je pouvais trouver sur le même thème, espérant croiser un ouvrage plus constructif et surtout mieux développé, pour contrebalancer leur non-propos. Si j’ai porté d’abord mon intérêt sur les ouvrages de l’islamologue Gilles Kepel, j’ai malheureusement vite du me rendre à l’évidence: ce spécialiste écrit tellement (et souvent des ouvrages pour dire les mêmes choses) que son propos devient illisible. A la place, je suis tombé sur le livre « Comment lutter efficacement contre l’idéologie islamique », de Chahdortt Djavann, iranienne vivant en France. Je vous en ferais le compte-rendu dès que je l’aurais reçu et lu.
D’ici là, j’essaierais de vous parler de la stratégie des islamistes et de ce que je vois, à titre personnel, comme solution pour les contrer. Mais ça risque de déborder et nécessiter plusieurs articles… voire un bouquin.
A bientôt, et merci d’être restés jusqu’au bout.
* Ah, pardon, c’est ce qu’écrivait déjà Fareed Zakaria dans Newsweek, dans son édito du 12 avril 2004 et que je vous reproduis là dessous. (conclusion: « that’s why the only way to combat this new global terror is to fight the ideology that fires it everywhere. So the war on terror is really a war of ideas » / « C’est pourquoi la seule façon de combattre cette nouvelle terreur globale (i.e. le terrorisme islamique) est de combattre l’idéologie qui le produit, et partout. Ainsi, la guerre contre le terrorisme est, en vrai, une guerre d’idées »)
Pour cette première critique littéraire sur Sombre Plume, j’ai choisi de vous présenter rien moins que La Comédie du génial Dante Alighieri. Plus exactement, plutôt que de présenter la Comédie elle-même (exercice vu et revu depuis deux siècles), je vais vous présenter la Comédie telle que l’a traduite Kolja Micevic, parue aux éditions Esopie.
Reçu le mois dernier en service de presse, j’avais trente jours pour en publier une critique sur Babelio, un site communautaire dédié aux livres. Hé bien croyez moi, trente jours pour lire l’intégralité de la Comédie, ce n’était pas de trop…
Lire la Comédie de Dante est toujours une aventure littéraire. Je l’ai lue la première fois il y a une dizaine d’années dans les œuvres complètes de Dante, parues dans la collection Bouquins. J’avais été un peu chagriné par une traduction assez plate, même si l’effort avait été mis pour lui donner une forme poétique. Mais elle était très loin de rendre honneur au texte original, beaucoup, mais alors beaucoup plus complexe, si bien qu’arrivé au milieu du Purgatoire, j’avais perdu toute envie de continuer.
J’adore pourtant ce texte , pour l’importance qu’il a dans l’histoire de la Littérature et des Arts en général. J’en ai une bonne dizaine d’éditions (dont l’édition originale de la traduction par Arnaud de Montor du Paradis, en 1811!), illustrées ou non, et j’ai même relié moi-même l’une de mes versions pour lui donner un bel habillage de cuir rouge. Y revenir était donc un plaisir que j’attendais avec impatience.
Et quel bonheur ça a été!
La traduction de Kolja Micevic est tout simplement excellente, la meilleure dont je pouvais rêver. La minutie avec laquelle il a respecté la technique poétique de Dante est tout bonnement magistrale. Les rythmes, les rimes, cette fameuse Terza Rima, l’emplacement des noms au cœur du vers ou en position de rime selon l’importance que Dante leur donne, la richesse de la langue dantesque, les rimes latines au milieu de la langue courante, tout y est, du début à la fin.
Mais ce que j’ai le plus apprécié, au-delà de ce travail qui déjà mérite les éloges, est que Kolja Micevic s’est employé à signaler dans les notes chaque fois qu’il a dû adapter sa version ou choisir tel mot plutôt qu’un autre, permettant de mieux saisir les nuances du texte original. En plus de ses propres notes, Kolja a également inclus les notes de précédents traducteurs de Dante, comme Rivarol ou Arnaud de Montor, qui éclairent sur le sens parfois obscur de tel ou tel passage. C’est à dire qu’en plus de produire un texte quasi-parfait et de donner des indications pour les futurs traducteurs et ses lecteurs, Kolja Micevic nous fait plonger dans la tradition dantesque en nous tenant par la main pour nous faire rencontrer ses prédécesseurs.
Kolja nous dévoile en plus les arcanes de la poésie de Dante, cette « rimagination » qu’il révèle avec une passion qu’il parvient à transmettre à son lecteur. Tout l’art de Dante a été en effet d’inventer des moyens de contourner certaines difficultés de sa langue pour faire rimer des mots d’une manière totalement inédite, en inventant des mots (on appellerait ça des néologismes aujourd’hui), en décomposant certains autres… Si cela passe pour une forme de « triche », cela ne dénature pas la poésie de la Comédie, bien au contraire! En faisant appel à l’imagination pour rimer (et pas que rimer, d’ailleurs, puisqu’on trouve le procédé à l’intérieur des vers), Dante a créé un texte unique, qui explique son retentissement dans l’Italie de la Renaissance.
La Comédie s’accompagne ici, en plus des notes, d’un index des noms rencontrés dans l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis, qui offre parfois de précieux renseignements pour comprendre le sens du poème. On sent vraiment le travail énorme mené par Kolja pour cette édition inégalée, même chez la Pléiade, qui fait pourtant référence en matière de Littérature.
A ce texte magistral s’ajoutent les illustrations de Vladimir Velickovic (dont une est visible sur la couverture), dont le style colle parfaitement avec l’Enfer, mais un peu moins avec les deux autres parties de la Comédie. J’avoue avoir moins apprécié son style contemporain que les gravures de Gustave Doré ou que les peintures de Botticelli, mais c’est parce que je suis un grand amateur des classiques. D’autres sauront apprécier ces illustrations beaucoup mieux que moi, je n’en doute pas un instant!
Au final, mon seul regret aura été d’avoir dû précipiter ma lecture: je n’avais que 30 petits jours pour déguster l’immense travail de Kolja Micevic. Trop court pour s’y plonger pleinement et en digérer chaque partie comme il se doit… Ce qui me dit que je n’attendrais pas dix ans pour m’y replonger, cette fois!
Les éditions Esopie ont vraiment fourni un travail remarquable sur ce
livre, malgré une ou deux petites imperfections très, très mineures.
L’ouvrage est vraiment beau et résistant, avec un papier de qualité très
agréable au toucher. Je me permets deux petites remarques pour les
éditions ultérieures: l’absence de numéros de ligne a été un peu
handicapant pour certains commentaires qui y font justement référence,
et si j’ai beaucoup apprécié que les commentaires soient en fin de chant
plutôt qu’en fin d’ouvrage comme c’est trop souvent le cas, il me
semble personnellement que les avoir en bas de page améliorerait
beaucoup la lecture.
Le travail de Kolja Micevic sur Dante est, à mon avis, le meilleur dont on puisse rêver pour la Comédie. Sa version en est un régal pour les connaisseurs, même si je conçois qu’elle soit ardue pour les lecteurs peu habitués à la poésie et qui découvrent Dante pour la première fois. Ses commentaires éclairants démontrent à quel point il a su pénétrer l’essence de la Comédie, et je ne vois pas comment on pourrait faire mieux, à part peut être en incluant la Vita Nuova en guise d’introduction « éclairante » et le texte original en regard. Mais là on aboutirait à un gros pavé de 1500 pages, ou une édition en trois tomes, forcément de luxe…
Cette Comédie est un véritable bonheur que je ne peux que recommander chaleureusement. Un immense merci à Kolja Micevic d’avoir donné à La Comédie de Dante l’écrin qu’elle mérite dans notre belle langue française!
Dante Alighieri, La Comédie, selon Kolja Micevic. Editions Esopie, 2017, 35€ ISBN : 9791092404036
Décrire de Noires Arabesques où se révèlent les mystères…