Ayant décidé de laisser passer la période des primaires, des élections américaines et de la transition politique qui a suivi, je m’étais abstenu d’intervenir sur Sombre Plume, après quelques articles qui m’ont valu quelques discussions houleuses.
La lecture d’un article de France24 sur le nouvel outil du journal Le Monde contre les « fake news » m’incite à sortir de mon silence relatif, parce qu’il y a là un gros danger, à mes yeux, pour l’information, sous toutes ses formes.
Le terme « fake news » s’est imposé pendant les dernières semaines de l’élection américaine qui a vu la victoire de Donald Trump puis dans les jours qui ont suivi, comme l’explication-reine de la victoire de ce dernier: parce que les électeurs américains ont étés manipulés par de « fausses actualités » (comme l’emblématique Pizza Gate), Hillary Clinton, candidate préférée des journalistes occidentaux et soutenue par tout l’establishment, a perdu l’élection de façon injuste.
S’il est vrai qu’Hillary Clinton a perdu de façon injuste (elle disposait de 3 millions de voix de plus que son adversaire mais a perdu en raison de règles d’attribution des grands électeurs), il est extrêmement simpliste de dire que Trump a remporté l’élection simplement sur des rumeurs et calomnies, car c’est avant tout sur son programme de politique intérieure qu’il a remporté l’élection.
Peu importe qui a gagné ou comment, le résultat est là: on nous bassine depuis des semaines avec le nouveau truc à la mode, et qui va révolutionner l’information occidentale. Les « fake news ».
Concrètement, une « fake news » est une pseudo-information qui surgit de façon impromptue pour expliquer une situation de façon biaisée, ou pour lancer une rumeur proche de la calomnie ou de la diffamation. Bref, c’est un mensonge ou un article idéologique qui déforme la réalité. Les défenseurs de « l’information vraie » entendent donc pourfendre les « menteurs », une attitude à priori louable dont on ne peut que s’étonner qu’elle n’ait pas été réalisée dès le début de l’ère de l’information, voire dès le début du journalisme!
La réalité, vous vous en doutez, est plus contrastée que ce rêve qu’on essaie de nous vendre.
Avant même de parler d’information, il faut considérer les faits qui la structurent. Ainsi, les articles de journaux comme Le Monde, Le Figaro ou Libération sont basés sur des faits rapportés par les agences de presse, comme l’AFP ou Reuters. Ces agences publient des dépêches se bornant en principe à énoncer un fait: tel pays a subi telle catastrophe, qui a provoqué tant de morts et tant de blessés, telle personnalité politique a été mise en examen dans telle affaire en raison de tel comportement potentiellement délictuel ou criminel. Il s’agit ici du fait, de l’information brute que les journalistes vont traiter dans leurs propres articles. Ces faits sont généralement indiscutables et de première main, et sont en principe corroborés par les autres agences de presse à partir soit de la même source, soit d’une source complémentaire.
Ces sources sont en principe issues de services officiels, tels que la police, les magistrats, les pompiers, les porte-paroles de tel entité politique ou de tel service d’urgence. Elles peuvent être appuyées par des enregistrements phoniques ou photographiques directs, que ces enregistrements proviennent de caméras de surveillance, de reporters de terrain ou de simples passants ayant filmé l’événement.
Jusqu’ici, difficile de parler de « fake news ». Les faits sont réels ou ne le sont pas, et il est rare qu’une agence de presse raconte des bobards (mais pas impossible). Il n’y a guère que sur des conflits armés où les « informations » transmises sont sujettes à caution, n’ayant souvent pas pu être vérifiées (tel massacre de population, tel bombardement sur des civils, etc.) comme l’a parfaitement démontré le récent conflit en Syrie.
Le problème survient lorsque l’information brute est traitée par les journalistes. Entendons-nous dès à présent sur ce que le terme « journaliste » recouvre: je parle bien des individus travaillant pour une rédaction de presse écrite ou un journal d’information télévisuel ou radiophonique, et non des individus derrière leur écran sur un site internet.
Le rôle du journaliste n’est pas d’informer, mais de transmettre une information à travers un regard « éclairant ». Comprendre ici « un regard partisan, biaisé et partial ».
On sait très bien par exemple que Libération est un organe de presse d’extrême gauche faisant la promotion de l’altermondialisme, de l’écologisme (pas de l’écologie, la distinction est importante), du multiculturalisme, et d’une vision présentée comme humaniste du monde. A l’inverse, Le Figaro est un organe de presse plutôt libéraliste (pas libéral, la nuance est importante), européaniste voire transatlantiste, et se concentrant plutôt sur une vision affairiste du monde. Pour faire simple, il n’y a pas en France d’organe de presse ou d’information qui soit réellement neutre.
Donc, déjà, rien qu’avec ce premier constat, on voit que cette histoire de « fake news » prend un drôle d’aspect. C’est d’autant plus troublant quand on sait que les journaux principaux en France reçoivent des centaines de millions d’euros d’aides gouvernementale chaque année. De quoi se poser de sérieuses questions quant à l’impartialité voire à l’honnêteté des rédactions qui, en diffusant un article un peu trop critique, pourraient mettre en jeu leur avenir. De fait, en France, la collusion journalistes/politiques est totale, comme l’illustre parfaitement le documentaire Les Nouveaux Chiens de Garde réalisé par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat et basé sur l’ouvrage éponyme de Serge Halimi.
Pire: il n’existe plus aucun journaliste de terrain. Les images de conflits que nous voyons sont achetées à des journalistes étrangers ou à des indépendants pas toujours honnêtes, mais qui font aussi face à des risques d’arrestation importants voire à des risques mortels. Les rares journalistes qui se déploient en marge des événements ne le font que pour faire dans le sensationnel, l’émotionnel, mais pas pour informer. Et quand ils le font pour informer, ils sont accusés par leurs confrères de déformer la réalité et de mentir.
Clairement, nos journalistes ne sont donc pas du côté de la vérité et de l’information, et sont devenus de mauvais commentateurs et des analystes de comptoir qui déblatèrent à qui mieux mieux sur le néant total qu’ils génèrent eux-mêmes, quel que soit le sujet qu’ils abordent, et avec une bêtise d’autant plus grande que le sujet est important.
Dans ce contexte, il est donc alarmant de voir une rédaction comme Le Monde prétendre offrir un « outil de lutte contre les fake news » pour faire le tri entre les informations « de qualité » et le reste. Je suis particulièrement inquiet en ce qui concerne le classement entre « sites très fiables » et « sites peu fiables ». S’il ne fait par exemple aucun doute qu’un site comme Wikistrike se borne à déblatérer des mensonges au kilomètre en toute circonstance, je suis un peu plus dubitatif en ce qui concerne un site d’information comme Slate ou même Libération ou Le Monde, dont les « informations » sont partisanes et se bornent à commenter des communiqués de presse. Avons-nous eu un traitement normal et impartial des élections américaines? La réponse est clairement non, 100% des journalistes ayant promu la candidature de Clinton, qui a été encensée quel qu’ait été son discours, même lorsqu’il était encore plus belliciste que les Néo-Con de l’ère Bush Jr. ou lorsqu’il se contentait de simplement insulter son adversaire. Aurons-nous un traitement impartial de l’élection présidentielle française, quand on sait déjà que les journalistes n’en ont que pour Emmanuel Macron?
Au-delà de la politique et du traitement des conflits sur lesquels je me suis déjà beaucoup étendu, c’est le fait même que ces journaleux puissent prétendre nous dire quoi lire et à qui faire confiance qui m’interpelle.
Si des gens souscrivent par exemple aux thèses dites conspirationnistes, ce n’est pas parce qu’ils sont idiots ou mal informés, mais parce que d’une part un certain nombre de conspirations se sont avérées être vraies (que l’on pense aux révélations de Snowden sur la surveillance généralisée de l’ensemble des communications mondiale!), et d’autre part parce que ceux qui les propagent s’évertuent à leur donner toutes les apparences de sérieux possibles: témoignages, recoupements, sources et références, bref, tout ce que nos journaleux ne font plus, si tant est qu’ils l’aient jamais fait.
Ce n’est pas en employant un code couleur que l’on peut contrer les rumeurs et autres mensonges qui certes pullulent sur le web mais pas vraiment plus que dans nos journaux. Il y a une quinzaine d’année, toutes les chaines de télévision s’arrachaient Karl Esser, qui affirmait sans aucune preuve qu’il avait participé à la construction de bunkers secrets sous Bagdad. Information bidon, évidemment, qui aurait dû amener certaines réflexions sur la démarche journalistique. Mais non, les mêmes rédactions n’hésitent pas encore aujourd’hui à publier des rumeurs sur la Corée du Nord avec le plus grand sérieux.
Alors pourquoi croire que ces mêmes journalistes, ou du moins que les mêmes organismes d’information qui ne sont pas foutus d’être neutres et de traiter l’information autrement que comme le gouvernement le leur dit, vont pouvoir être impartiaux et faire un tri honnête dans les informations de confiance et le reste?
Dans un contexte où d’un seul coup, on nous parle de « fake news » qui pullulent alors qu’elles ont toujours existé, je me demande bien ce qu’annonce cette tendance au contrôle de l’information publique qui ne va faire que se renforcer au fil du temps.
Sans vouloir être alarmiste, ce que je vois poindre le bout de son nez depuis plusieurs années et particulièrement ces derniers mois, c’est tout simplement la fin de notre Liberté. Le renforcement des capacités de contrôle des populations par les services de renseignement, l’abandon total de nos forces de l’ordre qui ne peuvent plus traiter les affaires qui leur sont rapportées, y compris les plus graves (11% à peine des victimes de viol recensées portent plainte), la montée d’une classe politique qui confond autoritarisme et gouvernement, le total déni de légitimité de la Démocratie qui depuis 10 ans envahit toute l’Europe, l’armée qui ne mène plus des missions de combat mais des missions de pacification de populations hostiles, le financement et l’encouragement à la montée des communautarismes et des extrémismes religieux (musulmans comme chrétiens)… Je n’irais pas jusqu’à dire qu’on nous prépare la loi martiale et une guerre civile comme ce taré d’Alex Jones aux Etats-Unis, mais quand même, c’est bien une nouvelle forme de totalitarisme qui arrive petit à petit…
Je me demande vraiment ce qu’on nous prépare, et je crains que nous devions nous préparer à faire face à des heures sombres comme on n’en a encore jamais vues. Il n’y a rien à attendre de gens qui nous infantilisent et nous disent quoi penser, quoi dire, quoi faire, qui voter. Notre pays, notre civilisation n’a pas besoin de ces gens qui ne font que nous pousser vers l’abîme. La question est: les laisserons-nous faire ce qu’ils veulent et continuerons-nous à marcher dans leurs combines?
Nous ne redresserons pas notre pays par le haut avec des élections truquées d’avance, mais bien à partir de sa base, par nos propres comportements, et ça, ça commence par nous faire notre propre opinion, sans avoir besoin d’un garde chiourme par dessus notre épaule.