Livre plutôt court qui montre assez bien comment sont bâtis les scénarios d’analyse prospective.
Le travail de la « Red Team » est présenté brièvement en introduction. Deux scénarios sont ici présentés, le premier portant sur une hypothèse de conflit organisé autour de manipulations génétiques sur l’environnement (mais aussi visant des êtres humains), le second portant sur un hypothétique conflit dans lequel une transition énergétique totalement décarbonnée a radicalement changé l’approche des militaires vis-à-vis de leur métier.
La première hypothèse est très bien exploitée et reste plutôt « vraisemblable », même si bien sûr les extrapolations sont nombreuses dans les prémices de ce scénario. La technologie d’édition génétique nous est familière et les applications qui en sont faites ne sont guère éloignées de ce qui peut se pratiquer dans certains secteurs de recherches à l’heure actuelle, même si c’est à une toute autre échelle, et qu’on est encore loin de pouvoir militariser ces technologies biomédicales.
J’en profite ici pour signaler que le terme « weaponization » qui est employé à plusieurs reprises dans les divers textes est un anglicisme assez exaspérant. En France, on emploie le terme de « militarisation » depuis très longtemps, ainsi que le néologisme « arsenalisation » depuis une vingtaine d’années. La préservation d’une Nation, qu’elle soit concrète ou hypothétique, passe aussi par la défense de sa langue.
Le second scénario est quant à lui beaucoup moins réaliste et vraisemblable, même si il extrapole l’idée d’une transition énergétique complète et appliquée au domaine militaire. Les prémices font appel à des technologies qui ressortent actuellement et probablement pour longtemps de la science-fiction, et bien que le scénario construit à partir d’elles soit logique et bien déroulé, il démontre aussi clairement les limites des technologies décarbonnées dans l’action militaire: le moindre problème de batterie immobilise instantanément les opérations et rendent le soldat extrêmement vulnérable.
Il faut dire que ce n’est pas vraiment dans la philosophie française que d’aller vers le tout technologique, comme l’a démontré l’échec du système FELIN: trop lourd, trop vulnérable, pas assez pratique, pas assez décisif, ce type de système technologique nécessite une chaine logistique et un entrainement très éloignés (pour ne pas dire inatteignable) de ce qui se pratique dans notre pays, où on préfère des soldats agiles et rustiques.
Mais c’est aussi l’intérêt de ces scénarios: dérouler des hypothèses de potentiels « systèmes de rupture » à venir, et voir où ça peut mener concrètement, pour valider ou invalider la réflexion de départ.
L’ouvrage est assez court et ne donne à voir qu’une partie de ce que produit la « Red Team », et ne rend pas compte des travaux de la « Blue Team », côté militaires, pour des raisons à priori logiques mais qui interrogent lorsqu’on voit certains articles et publications de nos militaires dans des revues françaises ou étrangères. Au moins, les travaux de la Red Team (dont les noms des membres sont donnés en début d’ouvrage) sont parfaitement compréhensibles.
On reste un peu sur sa faim malgré tout, mais la démarche est intéressante, et le format poche est bien adapté à la brièveté de la publication. Seul bémol sur l’édition poche: la relative illisibilité des deux documents cartographiques appuyant chaque scénario.