L’Afghanistan et ce qui se déroule en ce moment n’est que le dénouement naturel d’un conflit dont personne n’a voulu.
Pour beaucoup de jeunes aujourd’hui, l’Afghanistan est juste un conflit qui dure depuis longtemps. Mais ça n’est pas que ça.
Tout a commencé le 12 septembre 2001, le lendemain de attentats de New York. Les USA viennent de prendre la pire attaque terroriste sur leur sol, le peuple américain réclame des explications et le gouvernement Bush a été tellement nul dans la gestion de la crise qu’ils cherchent à désigner un responsable. Celui-ci est évident et tout trouvé: il s’agit d’Oussama Ben Laden et son organisation Al Qaeda, qui a commis plusieurs attentats contre les intérêts américains, notamment une première attaque au camion à l’explosif contre le World Trade Center, et une attaque suicide au bateau rempli d’explosif contre l’USS Cole. Quelques heures avant l’attaque de New York, Al Qaeda avait réussi à tuer le Commandant Massoud, une figure des Mujahidin qui ont lutté contre les soviétiques dans les années 1980, et qui résistait aux taliban et à leur règne obscurantiste.
S’engage alors une période de 3 mois où on s’agite en coulisse, pendant que les USA prédisposent leurs pions sur le Grand Echiquier. Les USA brandissent un ultimatum aux taliban en exigeant qu’ils livrent Oussama Ben Laden et son organisation aux USA. Les taliban refusent, parce que Ben Laden est lui aussi l’un des combattants qui a lutté contre les soviétiques. On apprendra plus tard que c’est par son intermédiaire que les USA et Israel ont pu faire livrer des missiles stinger aux mujahidin afghans (rappelez-vous comme ils étaient célébrés par Hollywood dans les années 1980, notamment à la fin de Rambo 3).
La guerre débute donc le 7 octobre 2001, même pas un mois après les attentats. A ce moment là, il ne s’agit que de forces spéciales au sol pour accompagner tous les groupes qui résistent aux taliban, aidés par des frappes aériennes plus ou moins ciblées (les B-52 ne font pas dans la dentelle), qui permettent la reconquête rapide de Kaboul et des provinces environnantes. Bush installe alors une base géante à Baghram, à une heure au nord de Kaboul, où se déversent des dizaines de milliers de soldats américains, puis britanniques, puis l’ensemble de l’OTAN « élargie » (avec des troupes de pays alors candidats pour rejoindre l’alliance, comme la Géorgie, mais c’est une autre histoire). A l’époque, Jacques Chirac refuse de déployer un contingent de soldats français: il a parfaitement conscience de l’inutilité d’une occupation dans un pays qui ne s’est jamais soumis à autre chose qu’à l’Islam. Surtout, il sent venir ce qui arrivera très vite au cours de l’année 2002: les USA annoncent qu’ils n’en resteront pas là.
Bush et son gouvernement annoncent que les opérations militaire vont se poursuivre en vue d’installer durablement la « démocratie » dans la région. Sous l’impulsion de Condoleeza Rice et de Donald Rumsfeld, et sur les conseils « avisés » de Benyamin Netanyahu, l’attention des USA se tourne vers l’Irak de Saddam Hussein, accusé de financer le terrorisme. La suite, c’est la guerre contre l’Irak dès 2003 qui sera une véritable catastrophe pour les USA, peut être encore plus qu’en Afghanistan. Tout le monde a compris à ce moment-là que ce n’est plus une histoire de terrorisme, mais un prélude à une guerre contre l’Iran, désormais encerclé par les bases américaines en Irak et en Afghanistan.
Ces deux conflits se passent très mal, au point que la guerre contre l’Iran, qu’on anticipait pour 2006 à l’époque, est sans cesse évoquée et repoussée. Le manège des « avertissements » et « lignes rouges » s’ensuit pendant 10 ans avant qu’Obama tente de négocier un accord sur le nucléaire avec l’Iran. Conscient de son encerclement, l’Iran a joué à fond la carte de la recherche nucléaire « civile » (mais à finalités militaires), suivant en cela l’exemple de la Corée du Nord qui a appliqué la bonne vieille dissuasion nucléaire pour être tranquille.
On n’entend plus parler de l’Iran depuis quelques années maintenant, en tout cas pas en ce qui concerne son programme nucléaire. A titre perso, je soupçonne qu’ils l’ont depuis quelques années et qu’ils jouent un jeu de dupes sur le modèle israélien. En tout cas, depuis qu’on n’entend plus parler du programme nucléaire iranien, les troupes US évacuent l’Irak et l’Afghanistan.
En Irak, les grands vainqueurs sont les chiites et en particuliers les hommes de Moqtada al-Sadr, ancien fondateur et grand patron de l’Armée du Madhi qui a résisté aux américains, ainsi que ceux qui ont créé ce qui allait devenir l’Etat Islamique (le Califat) d’Abu Bakr al Baghdadi.
En Afghanistan, les grands vainqueurs sont les taliban, qui bien loin d’avoir été affaiblis par l’occupation US, en sortent doublement renforcés, en incarnant d’une part un gouvernement « vertueux » (sous leur contrôle, il n’y avait plus aucune production d’opium et donc aucun drogué, et les violeurs étaient systématiquement mis à mort) après 20 ans de gouvernement totalement corrompu, et surtout en n’ayant en face d’eux plus aucune résistance: les anciens mujahidin qui les avaient combattus étant soit morts, soit les ayant rejoints. La Chine est déjà prête à leur accorder une reconnaissance diplomatique, dans le cadre de ses développements surnommés « routes de la soie », et qui sont un instrument de « soft power » pour établir une domination économique puis culturelle dans la région des « stan », du nom de ces pays d’Asie centrale dont les noms se terminent ainsi (voir l’initiative « one belt, one road » en Asie du sud-est et dans l’océan indien, ainsi que le développement « gagnant-gagnant » en Afrique, c’est un sujet passionnant).
L’avenir, quel est-il?
En Afghanistan, clairement, ça va être le retour d’un pouvoir islamique qu’on peut qualifier sans mépris ni condescendance d’obscurantiste. Les taliban avaient interdit les cinémas, les salles de spectacles, les concerts, la musique (y compris à la radio), ainsi que l’éducation des filles, obligées de porter le fameux « chador » grillagé, la burqa. Mais ils ont aussi interdit la drogue (la culture d’opium était punie de mort), l’alcool et la tradition des « bacha bazi », consistant à habiller des petits garçons en filles pour les faire danser de façon lascive et provocante avant de leur faire faire des actes sexuels. La corruption est virtuellement inexistante là où les taliban règnent, aussi surprenant que ça puisse paraître. S’il existe quelques poches où c’est un « pseudo Etat-Islamique » qui contrôle le terrain, il est clair que cette organisation n’a aucun avenir en Afghanistan, qui devrait être ainsi le premier pays à se débarrasser du terrorisme sur son sol…
En ce qui concerne les USA, en revanche, les choses sont beaucoup moins « roses ». La perte de leadership absolue que représente cette deuxième défaite stratégique après celle subie en Syrie et en Irak révèle les faiblesses de ce pays qui se prenait pour le gendarme du monde depuis 1991. La dette contractée pour les guerres contre « l’Axe du Mal » de Bush constitue à elle seule une bonne part du déficit public américain (s’y rajoutent celles d’Obama dans des conflits annexes, et le développement des drones en vue d’assassinats « ciblés »). L’Empire américain est en train de s’effondrer sous nos yeux, à la fois dans sa dimension internationale et dans sa dimension interne. La société américaine est dans un état pire que celui dans lequel se trouvait la société soviétique sous Gorbatchev, juste avant la chute du Mur de Berlin. C’est pareil en Europe, et en particulier en France, où l’Etat est si pourri de l’intérieur qu’il ne faudra plus grand chose pour le faire s’écrouler.
L’Afghanistan n’est que le début insignifiant de quelque chose de bien plus grave: la décennie à venir sera celle de l’effritement puis de l’effondrement de la société libérale occidentale actuelle, qui est devenue un cauchemar pour tout le monde.