L’immense déception du « match du millenium » entre Fillon et Zineb m’a amené à chercher d’autres auteurs, d’autres ouvrages sur le sujet de la lutte contre l’islamisme. On peut critiquer Amazon sur beaucoup de choses, mais il en est une qui est une bénédiction: les suggestions. C’est grâce à elles que je suis tombé sur cet essai de Chahdortt Djavann, romancière et essayiste française d’origine iranienne. Avec 200 pages sur la balance, on n’est clairement pas dans la même catégorie que le pastiche d’essai de Zineb.
Paru chez Grasset à l’automne 2016 et réédité en 2018 au livre de poche, il a été rédigé dans les mêmes conditions que les deux autres, suite aux mêmes événements, les attentats de Paris du 13 novembre 2015.
Contrairement aux deux autres, en revanche, Djavann sait de quoi elle parle, et pour cause: elle a subi le régime des Mollahs, et de plein fouet. Née en 1967 dans l’Iran du Chah, elle a 12 ans quand survient la Révolution Islamique. A 13 ans, elle est tabassée par les Gardiens de la Révolution parce qu’elle participait à une manifestation contre le régime islamique, et s’en tire avec deux côtes cassées, et trois semaines de détention. Deux de ses amies sont tuées. Elle finit par devoir quitter le pays, en 1989, se réfugie en Turquie, avant d’arriver en France en 1993, vivant dans un véritable dénuement, sa famille ayant tout perdu. Autant dire que d’emblée, ses affinités avec les islamistes ne sont pas marquées du sceau de l’amitié…
Et cela s’illustre rapidement, car elle rédige en 2003 un réquisitoire contre le voile islamique, « Bas les voiles!« . Ses arguments, basés sur sa propre expérience, l’amènent à témoigner en 2003 devant la commission Stasi sur le voile à l’école. En 2004, elle signe un nouvel essai intitulé « Que pense Allah de l’Europe?« , exposant les stratégies islamistes d’infiltration politique des institutions françaises et plus généralement européennes. Si elle s’oriente par la suite vers une carrière de romancière, elle reprend la plume pour rédiger cet essai contre l’Islamisme en 2016.
Ok, mais qu’est-ce que ça vaut?
Dès les premières pages, on comprend qu’on tient un bouquin sérieux dans sa démarche et honnête quant à ses objectifs et dans son rapport à son sujet. Sa plume est claire et sincère, et au bout d’à peine cinq pages de l’introduction, j’ai saisi pourquoi j’étais sorti de l’essai de Zineb avec un sentiment de malaise: Chahdortt n’essaie pas de lutter contre les islamistes avec l’Islam, elle les combat avec les principes de laïcité, de démocratie, et plus généralement, avec ce qui a constitué le socle de notre société depuis deux siècles. De fait, elle ne cite jamais le Coran, ni n’essaie pas de nous parler du Prophète sous couvert de critique. Elle ne prétend pas réformer une religion, mais combattre une idéologie politique. Et nom de Dieu, ça fait du bien de voir enfin un essai nous lâcher la grappe avec ces histoires. La lutte contre l’islamisme n’est pas une affaire d’exégèse du Coran, n’est pas une histoire d’islamologues, et ça, Chahdortt Djavann nous le rappelle très efficacement. Pas besoin d’un hypothétique et chimérique « Islam des Lumières », les Lois de la République suffisent.
Elle ne se permet qu’une seule incursion dans le domaine religieux, lorsqu’elle rappelle les cinq piliers de l’Islam (p.44). Elle rappelle ainsi que contrairement aux discours des islamologues, il n’y a pas besoin de suivre tout un tas de prescriptions du type voile ou hallal pour être un « bon musulman », puisque ces cinq piliers suffisent: la profession de foi (la Shahada), qui marque l’entrée dans la foi islamique, la prière (cinq fois par jour pour les sunnites, trois pour les chiites), l’aumône (la Zakât), le jeûne pendant le mois du Ramadan, si l’état de santé le permet, et le pélerinage à La Mecque (le Hajj) au moins une fois dans sa vie, si les moyens financiers le permettent. C’est tout. Pas de hallal, pas de voile, pas de prosélytisme, pas de morale islamique, pas de sharia, pas d’interdiction de l’alcool, pas d’histoire de quoi que ce soit d’autre et certainement pas de Jihad, c’est à dire rien de ces prescriptions idéologiques de l’idéologie islamique qu’elle expose quelques pages plus loin (p.50).
La suite de son essai s’attèle à déconstruire la méthodologie islamiste, et n’hésite pas à dénoncer des « sociologues » comme Khosrokhavar (p.57) et Olivier Roy (p.111), des universitaires et autres intellectuels, comme Fariba Abdelkah, Azadeh Kian ou Nahal Tajadod (p.113) ou encore Marjane Satrapi (p.114-118), dont Persépolis tient plus du manifeste pro-islamiste que de la critique du régime iranien (critique de toute façon contrôlée par ce régime, pour se donner des airs démocratiques et signer des contrats commerciaux avec les puissances étrangères). Elle n’épargne pas le monde politique non plus, et n’hésite pas à s’en prendre à Hollande et son discours si marqué par les islamologues, ni à Obama (p.131-136), dont la politique d’ouverture envers l’Iran a été selon elle une véritable catastrophe internationale.
Loin du politiquement correct, une invention de répression politique des opinions publique qui a tant servi l’idéologie islamiste, Chadhortt Djavann explique que les jeunes séduits par l’islamisme et le jihadisme ne le sont pas, comme on le lit trop souvent, pour des raisons socio-économiques. Les « jeunes de banlieue » ne sont pas plus défavorisés ni plus abandonnés que les jeunes ruraux, qui eux pourtant ne cèdent pas à la violence ni à un extrémisme politique virulent. Si ils cèdent aux sirènes du jihadisme, c’est parce que le discours islamiste est partout, parce qu’on laisse les islamistes les prendre en main. Pire, on le leur a demandé. Et là, je ne peux qu’être d’accord avec Djavann: après les émeutes de 2005, je me souviens très bien avoir vu un reportage au journal de TF1 (à l’époque, il n’y avait pas BFMTV, il faut s’en rappeler) faisant la promotion des islamistes du mouvement Tabligh qui allaient à la rencontre des jeunes « désoeuvrés » en bas des immeubles pour les inciter à s’impliquer dans la religion. Un concept de pacification qui rappelle celui des « grands frères » des années 1990, largement approuvé par le Gouvernement et Sarkozy en tête, avec son idée de vouloir créer un « Islam de France » par le biais du CFCM, dans les faits création purement estampillée « Frères Musulmans ».
Djavann Chahdortt insiste également sur le fait que les enfants d’immigrés musulmans sont souvent forcés dans leur « foi » par la pression de leurs familles, amis voire simples étrangers, parfois violente (de plus en plus violente, pourrait-on dire, au vu de l’actualité quotidienne…). L’anecdote qu’elle raconte sur ses années d’étudiante parisienne, où elle fréquente le restaurant universitaire et réclame une côte de porc pour se voir dire par la serveuse, musulmane, « c’est du porc! » puis « tu manges du porc, toi? T’es pas musulmane? », date de 1997. De nos jours, où la question du porc à la cantine est devenue un véritable débat de société, on mesure à quel point la pénétration de l’islamisme dans notre société en est arrivée à un point inimaginable il n’y a que 30 ans.
La fin de son ouvrage apporte des éléments de réponse (si on ne les avait pas déjà compris au cours de la lecture de son essai) à la question posée par son titre. L’un de ses points principaux est qu’il n’existe pas un « Islam de France », comme certains le promeuvent sans arrêt. Il y a l’Islam, point. Et cet Islam, en Occident comme ailleurs, est gangréné par l’idéologie islamiste. Pour lutter contre elle, il faut d’abord contrer ses prétentions « identitaires »: voile dans l’espace public (et donc à l’école et dans les universités), exceptions alimentaires dans les cantines et restaurants, et en un mot comme en cent, protéger farouchement la laïcité, qui est une neutralité et non une coexistence de religions. Elle propose ensuite l’instauration d’un service civique obligatoire, pour les hommes comme pour les femmes, pour restaurer le sentiment d’appartenance à la communauté française, et non pas à une communauté non républicaine. Elle propose également, dans le même esprit, l’instauration d’un uniforme scolaire (sans voile!), et le réapprentissage de la Marseillaise à l’école. Elle s’avance également sur la question de la déchéance de nationalité, s’y montrant largement favorable. Plus généralement, c’est la question du choix de l’immigration et de l’imposition d’un « pacte social » avec l’immigré, qu’elle défend. Enfin, elle propose de former non pas des imams, mais des éducateurs laïcs, pour canaliser la jeunesse dans le sens républicain plutôt que dans le sens islamique, voire islamiste. Elle défend l’idée que le Peuple français a son mot à dire, et propose des consultations populaires sur les sujets les plus importants, par exemple la limitation des droits et allocations aux étrangers. Un sujet qu’elle n’aborde pas à la légère, ayant été elle-même immigrée ne parlant pas la langue française à son arrivée…
Mon analyse et avis
Difficile de dire que Chahdortt Djavann a écrit un essai à côté de la plaque ou totalement vide. C’est loin d’être le cas, et je ressors de ma lecture avec la sensation d’avoir ENFIN lu quelque chose d’à la fois sans ambiguïté et fondamentalement anti-islamiste, et surtout sincère et pertinent. Ce qu’elle écrit est juste, à tous les niveaux, et s’appuie totalement sur ce que notre société française a en elle, plutôt que d’aller chercher des réponses dans une sorte de contre-islamisme fondé sur le Coran. Avec Chadhortt Djavann, pas de sentiment d’avoir lu un pamphlet d’une faction islamiste dirigé contre une autre faction rivale. Et franchement, ça fait du bien.
Le seul petit reproche que je peux faire à cet essai est sa propension à réduire l’islamisme à l’Iran, qui serait selon elle la source de tous les problèmes liés à l’Islam dans le monde. Une analyse que je suis loin de partager, même si il est clair que l’Iran n’est pas innocent du tout dans la diffusion et la généralisation du discours idéologique islamiste à travers le monde. A lire Djavann, l’islamisme n’existait pas avant la Révolution Islamique de 1979. Or, c’est inexact. Les Frères Musulmans ont été fondés à la fin du 19e siècle, officiellement dans les années 1920. Le Talbigh a été fondé dans ce qui était l’Inde, puis est devenu le Pakistan Oriental puis le Bangladesh, en 1927. La construction de l’Arabie Saoudite telle qu’on la connait aujourd’hui, sous le règne de la famille al-Saoud, s’étend entre 1902 et 1932, et principalement dans les années 1920.
Pourquoi les années 1920 semblent-elles marquer autant l’histoire de l’Islamisme moderne? Tout simplement à cause de la chute du Califat Ottoman, qui s’est effondré définitivement en 1923. La place laissée vacante a été simplement occupée par d’autres. Le Califat Ottoman était le dernier avatar de l’islamisme « ancien », celui qui utilisait la conquête militaire pour répandre la foi musulmane (notamment dans les Balkans et dans le Caucase, dont l’instabilité aujourd’hui est totalement liée à l’époque de la domination ottomane). Avec sa disparition, c’est l’Islam politique qui prend le relais. Face à des puissances militaires invincibles comme l’Empire anglais, l’Empire français, les Etats-Unis naissants ou encore l’URSS lui aussi balbutiant, il fallait recourir à la ruse plutôt qu’à la force, une leçon très tôt apprise.
La Révolution islamique de 1979, intervenue 50 ans plus tard, me semble être plutôt le résultat plutôt que le point de départ, la confirmation que les méthodes de l’Islam politique pour instaurer un régime islamiste fonctionnent, et permettent de séduire les élites des pays occidentaux, sans l’appui desquels la Révolution Islamique de Khomeini n’aurait jamais pu réussir. Si elle a été un point de départ, c’est pour le lancement des projets de conquête insidieuse de l’Europe, mais c’est un problème mondial, et pas seulement occidental.
Dans l’ensemble néanmoins, Djavann a raison sur beaucoup de point. Je ne suis pas sûr que réintroduire l’uniforme et la marseillaise soient si importants dans la lutte contre l’Islamisme, mais une immigration choisie (sur le modèle québécois) et l’instauration d’un contrat social avec des obligations strictes pour les immigrés sous peine de non-renouvellement de l’autorisation de séjour sont la base qu’il aurait fallu instaurer il y a déjà 25 ans. La déchéance de nationalité pour les tenants de l’islamisme et de son avatar violent, le jihadisme, sont tout aussi nécessaires à notre époque où les enfants d’immigrés sont français mais rêvent d’instaurer un régime islamique en France. Comme Djavann le dit si bien, il y a 40 Etats islamiques dans le monde, mais il n’y a qu’une seule France. Si quelqu’un ne s’y plaît pas, libre à lui de partir et de faire le chemin inverse de celui qu’elle-même a fait. Enfin, l’interdiction du voile islamique en dehors du cadre privé et du cadre religieux (mosquée et célébrations spécifiques), c’est à dire dans l’espace public, aussi bien à l’école qu’à l’université, dans la rue ou dans l’administation publique, se justifie largement par son utilisation par les islamistes comme base de toute leur idéologie. Ce n’est PAS un vêtement religieux, c’est un vêtement politique, idéologique. On interdit le port de signes et uniformes national-socialistes, il n’y a aucune raison pour laquelle on ne bannirait pas le voile.
Je doute, enfin, de la capacité de notre démocratie à débattre et porter des décisions anti-islamistes. L’élection de Macron constitue à cet égard la meilleure démonstration que la démocratie est en panne en France, que ce soit dans la crise des gilets jaunes ou autre. Jamais dans l’histoire un gouvernement n’avait autant inclus d’islamistes assumés comme tels, de personnalités anti-France voire anti-français, ni de collaborationnistes pro-Islam. Macron est l’illustration absolue des défaillances de notre démocratie, qui se borne à faire barrage à une extrême droite qui n’a d’extrême que son relativisme et sa propension à toutes les compromissions, quitte à sacrifier l’identité française sur l’autel de l’Europe et de l’identité communautariste. Notre pays, sur la question de la lutte contre l’Islamisme comme sur tous les autres sujets, a besoin d’un anti-Macron, d’un Président fort, antithèse de ce que représente notre pathétique locataire de l’Elysée actuel. Le type de politique qui malheureusement ne viendra pas du monde politique actuel… mais c’est un autre problème, et une autre histoire.
Conclusion:
Un très bon livre, même si il se concentre un peu trop sur l’Iran (rappelons que son auteure est née en Iran, ce qui explique certainement cela). Un vrai diagnostic, une vraie dénonciation, avec des noms, des dates, des circonstances, et surtout, de vraies propositions, peut être un peu idéalistes ou tardives, mais néanmoins nécessaires. Surtout, un bouquin qui ne donne pas l’impression de faire la promotion d’un « autre Islam », c’est à dire fait la promotion d’un islamisme alternatif. Djavann reste fidèle à ce qui a fait de la France ce qu’elle est, avec une laïcité farouchement anti-cléricale dans la sphère politique.
Si vous ne deviez lire qu’un seul ouvrage sur le sujet de la lutte contre l’Islamisme, c’est celui-ci, même si il date d’un temps avant Trump et avant Macron. A bien des égards, ses préconisations ne suffisent déjà plus, même si elles n’en restent pas moins nécessaires.